Il y a six mois, j’ai accouché. Après cinq longs jours à l’hôpital, je suis rentrée chez moi, livide, amaigrie et endolorie. Dans mes bras, une petite merveille ! Je tâtais mon ventre vide, mou, aussi flasque qu’un oreiller bon à jeter et je me répétais en boucle, en la regardant, « elle était dans mon ventre, elle sort de moi ! »
– Frénésie –
Tout ce temps, elle était là, au creux de moi. Elle était dans mon ventre, les jours où je me masturbais, les jours où je criais « plus fort, encore plus fort ! ». Au début, ça fait tout drôle. Et pour l’autre, parfois ça déconcentre. Pourtant, durant cette grossesse, j’étais comme hypersexuelle. Tout me ramenait à mon corps, à mon sexe, à mes seins qui gonflaient. Et si mon compagnon oubliait parfois la femme derrière tout ce ventre, moi, je me suis refusée à m’effacer. Enceinte ou pas, j’ai suivi mon plaisir, avec ou sans lui.
Cet accouchement fut difficile et ma fille est née après une épisiotomie pratiquée sans mon accord. Je me rappelle avoir dit non, avoir promis que j’allais pousser plus fort… En rentrant chez nous, mon compagnon a suggéré que je regarde cette cicatrice. Il a vu comme j’en avais peur. Je me suis sentie balafrée. À son tour, il a regardé et a eu les mots les plus rassurants qui soient, pas de dégoût, pas de peur ni de gêne. Il avait un regard de désir, comme d’habitude quand il voit mon sexe et c’est là qu’il m’a caressée pour la première fois depuis l’accouchement. Nous avons tous les deux apprivoisé cette cicatrice. Huit jours après l’accouchement, nous faisions l’amour. Pas par injonction, mais parce que de nouveau mon corps était plein de désir et j’ai joui comme rarement. J’ai eu l’impression que cet accouchement avait ouvert un nouvel espace en moi. C’est comme si, puisque j’étais devenue mère, puisque j’avais rayé ça de la to do list, je pouvais faire du sexe pour moi, pour mon plaisir, égoïstement. Une libération ! J’ai connu deux mois de frénésie sexuelle, on baisait dès que la petite dormait. Mes orgasmes étaient très puissants, j’éjaculais parfois.
– Avarie –
Et puis, la fatigue est arrivée. La fatigue physique d’abord. Celle des nuits hachées par les pleurs d’un nouveau-né. Ensuite, la fatigue morale, parce qu’il y a tout à penser à la fois : reprendre le boulot, prendre soin de son enfant, nourrir son couple. Et soudain, je me suis mise à ne baiser qu’une fois par semaine, quand la longue liste des choses à faire se mettait en pause. Je me suis demandé si je faisais assez l’amour, je me suis comparée aux moyennes, je me suis sentie coupable vis-à-vis de mon conjoint. J’ai éprouvé de la gêne quand mes seins pleins de lait se mettaient à couler sur mon compagnon pendant nos rapports. Pourtant, j’adore qu’il embrasse mes tétons. Nous partageons la chambre avec notre fille, faute de place, et je suis incapable de faire l’amour lorsqu’elle dort non loin. Je n’arrive plus à atteindre cet état d’oubli nécessaire pour prendre mon pied et ça me rend si triste.
Puisque je n’ai pas envie d’oublier mon plaisir, nous allons investir dans un canapé-lit et dormir dans le salon. Comme en parlait Virginia Woolf, « une chambre à soi », c’est nécessaire. Pas uniquement pour rester connectée à mon compagnon, mais pour retrouver la trace de mon plaisir. Je ne me suis plus masturbée depuis la naissance de ma fille…
À vous, ne perdez pas la trace de votre plaisir !
Élodie

Photographie : la tête d’une femme se dessine à contre-jour en noir sur le fond flou, coloré et ensoleillé où elle regarde un enfant jouer.
Illustration par Korz