Bonjour, je souhaite témoigner de ma maladie.
Elle porte un nom un peu barbare, assez générique et fourre- tout : apparemment je suis borderline et, histoire d’en remettre une couche, dépressive.
Du moins, c’est ainsi que l’on m’a étiquetée. Des psys, j’en ai vu des tas, et ce depuis l’âge de neuf ans. Des psychologues, des psychothérapeutes, des psychiatres…
Je suis également sous traitement médicamenteux depuis l’âge de seize ans (j’en ai vingt-neuf). Treize ans, déjà.
J’ai toujours eu tendance à me sentir différente et stupide, en effet ce qui paraît facile et allant de soi pour les autres me paraît quasi insurmontable. Avoir des relations sociales, travailler, sourire, conduire, sortir de chez moi… Jouer la comédie pour avoir l’air bien dans ma peau…Cela me demande une énergie considérable que je n’ai pas toujours. J’ai été hospitalisée à maintes reprises à la suite de tentatives de suicide. Je ne voulais pas mourir mais juste stopper la souffrance, m’anesthésier.
Les hospitalisations n’ont rien donné, je me suis retrouvée avec des patients souffrant d’autres pathologies mentales assez graves, et la violence était quotidienne. Violence physique, mais aussi violence verbale et mépris total, de la part de certains soignants. Heureusement qu’il existe une panacée, les neuroleptiques, histoire de shooter tout le monde quelle que soit sa pathologie. Les repas face à face avec des gens qui bavent, les toilettes ancrées dans le béton, l’interdiction de sortir, le fait que l’on parle de toi à la troisième personne devant toi, qu’on entre dans ta chambre sans frapper…
Tu n’es plus un être humain, tu es un cas. Je ne dis pas que tous les HP sont ainsi mais ceux dans lesquels je suis allée étaient assez glauques. Pour moi, c’étaient clairement des prisons et les psychiatres, des dealers légaux. Ma vision des choses est assez extrême j’en suis consciente. Bref, je digresse.
Je suis lasse d’avoir sans cesse cette boule dans la gorge et dans le ventre qui ne part jamais, lasse de me sentir angoissée sans aucune raison apparente, lasse de devoir me justifier devant les autres qui me sortent que je devrais avoir honte, que j’ai tout pour être heureuse, qu’il y a pire que moi. On culpabilise le dépressif et on le prend souvent pour une chochotte égocentrique qui n’a rien d’autre à faire que de se regarder le nombril et de geindre sur son propre sort.
Lasse qu’on me sorte que c’est parce que je suis une fille que je suis hystérique (non je ne suis pas hystérique, déjà, mais dépressive) et que de toute façon, les femmes sont plus fragiles que les hommes. Depuis quand les maladies mentales ont- elles un sexe ? Elles sont tout comme la bêtise humaine, pas d’âge, pas de sexe, pas de classe sociale, pas de religion ni de couleur de peau.
Quant à mes relations eh bien… je n’en ai pas beaucoup. Difficile d’avoir des ami(e)s quand on ne répond pas au téléphone, qu’on sort très peu et qu’on rase les murs.
Je ne veux pas non plus avoir d’enfants : déjà parce que je n’en ai pas le désir mais aussi parce que j’ai peur de ne pas savoir assumer, déjà que je ne m’assume pas moi- même. Certes, le père a une part importante dans l’éducation mais j’ai très peur de “transmettre” ma maladie. C’est l’une des raisons de la rupture avec mon ex, ça et les réactions de sa famille. Mon ex beau-frère a même dit à sa petite fille de ne pas m’approcher car une mère de famille dépressive avait égorgé ses enfants et que j’étais capable de lui faire la même chose. Quand on se prend ça dans les gencives, ça fait mal.
Du coup, je ne dis plus rien, je reste enfermée dans ma bulle et je ne cherche même plus à être comprise.
Je vis à travers les livres et Facebook. Parfois je reste au lit toute la journée, je n’arrive pas à me lever, je me demande à quoi cela sert, de toute façon. Je me dis que je suis un poids pour tout le monde.
À présent, je vais un peu mieux mais je coexiste avec ma maladie, j’essaie de l’apprivoiser. Parfois j’ai le dessus sur elle, parfois elle a le dessus sur moi.
C’est un éternel combat, et c’est une une compagne tenace.
Marie Lumi
Illustration par M.
Waou. J’aurai pu écrire le même texte, à quelques détails près… Merci d’en avoir parlé, on se sent moins seules…
Si cela permet à d’autres de se retrouver dans mon témoignage, tant mieux. On se sent très seul face à cette maladie et le fait d’en parler et d’échanger sans se sentir jugé apporte un certain réconfort.
J’espère que tu arriveras à vivre à peu près bien avec et si seulement les gens s’arrêtaient 5mn de juger pour se regarder dans la glace, ça ne ferait pas de mal, c’est sûr…
Merci. A présent j’essaie de ne plus trop me focaliser sur ce que les gens pensent, tant qu’ils ne me font pas de la morale à ce sujet. Que l’on ne connaisse pas cette maladie et qu’on ne la comprenne pas, je le conçois aisément, et c’est pour ça que je témoigne, afin que certaines personnes se fassent une petite idée de ce qu’on peut vivre quotidiennement. Par contre, ce que je ne tolère plus, c’est qu’on me culpabilise et qu’on moralise.Je suis devenue très fermée d’esprit et très peu tolérante à ce sujet et c’est pour ça qu’en général j’évite de parler de ma maladie, même si je ne peux pas tout cacher. On croit souvent que, pour être dépressif, il faut avoir vécu un traumatisme, quelque chose d’affreux. Ce n’est pas nécessairement vrai, on peut très bien souffrir de cette maladie sans pour autant avoir subit des choses affreuses et c’est ce qu’il y a de plus difficile à comprendre.
Wow. Mon amoureux aussi est dépressif et je retrouve énormément de ses propos dans les tiens (ou l’inverse, comme tu préfères). Depuis longtemps j’aimerais lui faire comprendre qu’il n’est pas seul et bien loin d’être une anomalie ambulante (et puis qu’il est malade aussi et qu’il n’a donc pas à culpabiliser parce qu’il n’est pas responsable), mais j’ai peur qu’en lisant ton texte il croit qu’il est impossible de guérir. Je suis désolée de te demander conseil, du coup, mais qu’en penses-tu ? Est-ce que ça t’aiderait, toi, de lire que d’autres personnes souffrent comme toi ? Que tu n’es pas seule ?
J’avoue que j’ai peur en même temps qu’il se dise en te lisant qu’il ne pourra jamais guérir et que ça le décourage (ça fait moins longtemps que toi qu’il est malade : deux ans et demi). Comme il a fait une tentative de suicide il n’y a pas longtemps, je préfère faire attention. (Encore désolée de t’ennuyer avec mes demandes, si ça te gêne ou te gonfle je comprendrais parfaitement : ne t’ennuie pas à me répondre).
En tout cas, ça ne doit vraiment pas être facile, d’autant que tu as eu bien peu de chance avec tes soignants d’après ce que je comprends. Je te souhaite beaucoup de courage et j’espère que tu iras mieux. Les gens ignorent combien la dépression est une maladie dure et paralysante parce que la plupart croient que parce que c’est dans la tête, alors c’est surmontable (il faudrait simplement se “sortir les doigts”, tss). Je hais ce mépris dont je suis un peu éclaboussée (même si c’est bien moins pire que si j’étais concernée directement) quand j’entends des gens tenir ce genre de propos au sujet de la personne que j’aime. En plus, toi, c’est couplé avec la misogynie, ce qui est d’autant plus horrible (ça fait un poids en plus, déjà que la dépression c’est vraiment vraiment dur).
Je te souhaite sincèrement d’aller mieux et de trouver des petits morceaux de bonheur et de fierté même dans les choses les plus simples qui ne payent pas de mine.
Bonsoir, je suis très touchée par ton message. Etant malade moi- même, je peux te dire qu’effectivement, ça m’aide parfois de me dire que je ne suis pas la seule à être dans ce cas, même si au fond, on est toujours seul face à sa maladie. Mon discours est assez pessimiste, je le reconnais, après, c’est la perception que j’ai de ma maladie mais ce n’est pas forcément la réalité. Je veux dire par là que certaines personnes qui ont souffert de dépression s’en sont sorties. Elles demeurent fragiles, certes, mais elles arrivent à vivre, et non survivre. Quant on est en “crise” on voit tout en noir et on pense qu’effectivement, on ne va jamais s’en sortir. Ce que je te conseillerais, c’est d’aider ton copain à rencontrer des personnes qui ont vécu ça mais qui vont mieux, histoire de lui donner espoir. Il peut aussi écrire son mal être, s’il le sent, ça aide, parfois, de poser des mots sur sa souffrance. Cela permet de se distancier un peu de celle-ci. Après, je n’ai hélas pas de remède miracle.Est ce que ton ami voit quelqu’un, un psychologue, un psychiatre etc? Je ne les tiens pas en très haute estime par rapport à mon expérience personnelle mais je sais qu’il y en a qui sont très bien, le hic, c’est de les trouver.En effet, les gens pensent qu’on invente notre maladie et du coup c’est la double peine, pour nous: non seulement on souffre de cette saleté, mais en plus on doit affronter les jugements des autres, leur morale et leur désapprobation.Je sais qu’une telle attitude m’a même poussée, plus jeune, à faire des bêtises, juste histoire de prouver que non, je n’inventais pas, que j’étais vraiment malade. Très bête, je sais.Je te souhaite beaucoup de courage également ainsi qu’à ton copain. Sache que je suis disponible si tu souhaites discuter, et je compatis très sincèrement. J’espère que ton ami va aller mieux, bonne soirée à toi et merci pour ton message.
Merci pour ce témoignage. J’y répondre à tête reposée.
Je viens plusieurs années après mais merci pour ce témoignage. J’ai pleuré en le lisant. Je me sens comprisæ.