Ce soir, je suis au fond d’un trou que je n’avais pas vu dans la route. Je suis une mauvaise activiste, sceptique et qui doute de tout et qui n’a pas d’énergie. Je suis une mauvaise femme, célibataire et sans enfants et sans sexe. Je suis une mauvaise queer, sans pride. Je suis une mauvaise amie, sans répit, sans calme, sans distance, sans confiance. Je suis une mauvaise moi, sans amour, sans rires, sans écrire et sans construire, sans voyages, sans inspiration, sans combats. Je suis une mauvaise jeune urbaine, sans clubs et sans nuits blanches. Je suis plus que fatiguée. Ma mâchoire grince, mon cœur est gros mais serré, mes bras sont lourds et traînent le long de mes cuisses, je me mords les doigts de pied. Il y a un an j’ai pleuré toute une nuit et je croyais la tempête passée.
J’ai le sentiment d’être dans une impasse avec plusieurs bras, une impasse en étoile. Un labyrinthe, quoi. Mes projets se dissolvent comme les mirages sur les routes de cet été. L’idée de faire quoi que ce soit m’épuise d’avance. L’idée d’essayer de faire des trucs politiques avec des groupes à intégrer, à apprendre à connaître, à essayer de comprendre, à essayer de discuter, à essayer de faire passer des idées – m’épuise. L’idée d’écrire, si personne ne m’aime, ne m’intéresse pas. Plus. Je cherche encore et toujours une communauté qui n’existe pas et qui se débine autour de moi. Je ne sais pas.
La seule chose que je connais qui me soigne dans ces moments-là, c’est de partir, seule. Quand j’arrive après deux jours à m’aimer un peu moi-même, je reprends courage et un peu confiance dans le fait d’arriver à aimer d’autres personnes assez. Assez. Assez pour vaincre la solitude, tout court ? Sûrement pas. Assez pour qu’on vienne me bercer, une fois sur deux, peut-être, quand ça arrive. Assez pour que ça se sache, que je me cache, quand ça ne va plus. Assez pour qu’on connaisse ma lourdeur mais sans m’en vouloir pour elle. Assez pour qu’on me laisse l’aimer aussi. Sans vouloir la soigner, la guérir. Ça ne se guérit pas. Ça ne se guérit pas. Ça ne se guérit pas. C’est peut-être contagieux. Je ne sais pas. Je fais de mon mieux. Je m’épuise et je m’étiole à la cacher, à la vaincre. Je suis plus que fatiguée.
Dans ma tête les lieux et les moments se mélangent, se chassent et se remplacent sans s’effacer jamais, un kaléidoscope endiablé qui m’envoie trop de balles pour les jongler et je reste les bras ballants, la bouche en croix, c’est pas possible, la bouche en quoi. Ma vie est un manège sur lequel je suis seule et tout le monde autour me fait signe et je voudrais descendre. Descendre mais qu’on ne soit pas demain, qu’on soit jamais, qu’on soit hier, qu’on soit en dehors. Qu’on puisse parler. Parler parler parler parler parler parler et ne plus jamais se taire et ne plus jamais se quitter. Parler comme on ne peut jamais le faire, avec moins de phrases, plus d’images, et moins de non-dits.
Je voudrais dire à mes profs – au lycée, à l’université :
Mon cerveau a démissionné. En fait non, mon cerveau a été congédié. Au premier signe de faiblesse, mon cerveau a été radié, oublié. Oublié ce que je pouvais, oublié ce que je voulais. Il fallait choisir. Vous vouliez mon cerveau, sans moi. J’ai préféré moi, sans cerveau.
J’essaie de pardonner. J’essaie de dépasser. J’essaie de me repêcher.
J’essaie, en somme, d’être meilleure que vous. De réussir où vous vous voyiez échouer. Oui, vous. Pas moi. Ce n’était pas mon échec que vous craigniez. C’était le vôtre.
Je voudrais dire, à mes compagnon*nes activistes :
De mon cerveau, sont restés : des fragments. Des moments. Que parfois j’arrive à additionner, assez longtemps, pour participer. Pour être avec vous. Mais parfois seulement. Ensuite ça casse, et pour aller en chercher les morceaux, je suis seule. Je ne peux jamais oublier ça. Même quand les étoiles s’alignent un moment et que nous sommes au diapason, je n’oublie pas. Pardonnez-moi.
Pour être mieux ensemble, je voudrais que nos mouvements parlent aussi de solitude.
Je voudrais dire à celleux que j’essaie d’aimer, et à celleux qui essaient de m’aimer :
Je peux être seule. Je peux être seule. Je peux être seule. Je peux être seule et vous aimer de loin.
Je peux aimer beaucoup, immensément, de très loin. C’est plus facile pour moi.
Je voudrais dire à celleux que j’essaie d’aimer, et à celleux qui essaient de m’aimer :
Il y a un être qui vit en moi, qui ne sort que lorsqu’il s’agit d’aimer, ou d’écrire. Ce n’est pas moi. C’est cette partie de moi qu’il m’appartient d’essayer de consoler de tout ce que la vie n’offre pas. De ce que le monde n’offre pas. De ce qu’on a perdu. De ce qu’on ne sait pas fabriquer, mais dont on a besoin.
Je voudrais dire à celleux que j’essaie d’aimer, et à celleux qui essaient de m’aimer:
Je ne sais pas si je peux vous aimer de près mais l’amour, c’est ce que je voudrais essayer. Sans vous je ne peux rien risquer, ni sauver.
Luce

Dessin au stylo très fin : un grand rectangle rempli de petite bulles (?) de petits gravillons (?) bleus. En bas, au centre, une jeune femme dessinée en traits rouges, en robe d’été. Elle est allongée sur le côté, la tête vers le haut de l’image, le regard tournée vers la gauche. Son bras gauche, celui du dessous, est tendu et s’enfonce dans le fond de bulles/gravillons bleus. Seule la main en ressort.
Illustration par Papier
Merci pour ce témoignage, et bon courage 🙂
Merci, merci d’écrire sans autres objectifs, sans autres objectifs qu’aimer, être aimer? (…et pourquoi faire puisque je ne sais même pas redonner cet amour en retour…non, justement faire voir que déjà s’exprimer c’est se donner, aux autres…et à soi!). A moi, ton texte me donne le courage d’écrire aussi, et sans objectif, juste pour lâcher aussi ce trop plein, TROP PLEIN DE VIDE, manque de confiance,TRAHIS, par MOI-Même, les autres? Qui fait mon identité…ne me laisse pas!
Non, en fait, juste TRAHIS LA CONFIANCE que j’ai en elles/eux et surtout en moi-même, et ma capacité à ne pas trop me faire confiance ni à qui que ce soit d’autres, alors, je me retrouve seul.e et enfin, je vois ce que je”vaut”(sale langage capitaliste!) vis à vis de moi (ou des autres puisque nous sommes pareillement différent.e.S..et seule la jalousie nous permettrait de nous comparer?
..stOP!) trop de crises IDentitaire, je suis ce QUI? Et que, faire au fur & à mesure…déjà suffit!