Il a jeté mes t-shirts.
Ceux que ma mère m’avait achetés quand j’avais 21 ans, en Lettonie, dans un hangar, à Liepaja, avec plein de vêtements d’occaz rangés par type et par couleur. J’ai choisi un t-shirt avec des squelettes de dinosaures, un t-shirt avec deux bébés phoques que j’avais appelés Saint-Pierre et Miquelon, un t-shirt DARE tout mou et un autre t-shirt DARE assez long. Les t-shirt DARE, je les avais customizés et je les mettais tout le temps. Quand j’avais mon groupe de rock et tout. Ils sont super difficiles à trouver aujourd’hui, et puis c’était marrant de les porter à l’époque où c’était ironique. Maintenant ça n’aurait plus de sens.
Il a jeté ma veste en cuir.,
C’est ma pote Maëlle qui m’avait prêté les thunes, parce que je la voulais tellement cette veste, et y avait une super promo, elle coûtait 100 balles au lieu de 700 ou un truc dans le genre. Elle était toute douce, une veste un peu de costard, de tailleur, mais oversize, enfin je sais pas, elle était bizarre et je la mettais avec un mini-short avec plein de fermetures éclairs partout. Je me souviens que je la portais le jour où j’ai croisé le mec dont j’étais amoureuse.
Il a jeté le blouson en cuir de ma mère.
Celui que l’un de ses amoureux lui avait offert, à Rome (je crois). Je l’essayais quand j’étais petite, et je nageais dedans. Et puis un jour j’ai été assez grande pour qu’elle me l’offre, en me racontant son histoire. Je suis bien désolée qu’il se soit aussi attaqué aux affaires des autres, indirectement. Dommages collatéraux.
Il a jeté mon mini-short.
C’était un mini-short que j’avais fabriqué à partir d’un jean. Mon éternel jean noir à fermetures éclairs que j’ai acheté trois fois : une fois le mec avec qui je sortais me l’a piqué, parce que j’étais rentrée avec un mec et sa meuf après une soirée, et qu’il pensait qu’on était exclusifs et il a voulu se venger (c’est un peu drôle comme histoire, du coup 10 ans après je l’ai revu et je lui ai demandé s’il pouvait me le rendre et il a dit oui, mais il habite à Londres, alors bon, je m’en fiche, c’est devenu une blague en fait) ; du coup je l’avais racheté et c’était pas exactement le même : le nouveau, à force de le laver il était devenu gris. Je l’ai découpé et j’en ai fait ce mini-short. Il l’a jeté. Et il a aussi jeté le dernier, mon préféré, celui qui m’allait le mieux, que j’avais un peu découpé parce que je le mettais tous les jours et que quand même, il était défoncé en bas, donc j’en avais fait une sorte de pantalon bermuda, que je mettais avec des bretelles blanches. J’ai essayé plein de fois de le retrouver, ce pantalon à braguettes, mais il n’existe plus et sur les sites d’occasion, il est toujours trop grand.
Il a jeté ma chapka noire en fourrure.
Je l’avais trouvée dans la rue à New York. Je revenais de la projection d’un film sur des anarchistes croates. J’y avais trainé mon frère et j’essayais de lui expliquer des trucs. Il pleuvait, elle était toute mouillée, déposée sur un plot, quelqu’un avait dû la ramasser mais sans vouloir la garder. Je l’ai prise et je l’ai lavée comme un petit animal, avec du shampooing, et je l’ai séchée tout doucement au sèche-cheveux. Mon père a essayé de négocier pour que je lui file en échange de sa chapka à lui, vachement moins belle et dont il était si fier deux minutes avant. Je n’ai pas accepté, même si la mienne était dix fois trop grande. Finalement j’arrivais à la caler en faisant un chignon. Je vu la même deux jours plus tard dans un grand magasin, elle valait 500$. C’était du renard.
Il s’est foutu de ma gueule un jour, parce que j’étais partie de chez moi et je lui avais dit que je voulais revenir pour la récupérer, me disant que ça ne me ressemblait pas de porter de la fourrure. Pas mon père hein, je parle du connard qui l’a jetée dans la rue avec ses connards de potes. Super.
Il a jeté mes rollers.
C’était ceux de ma pote Maëlle, elle me les avais vendus 20€ parce qu’elle ne voulait pas les garder, ils lui rappelaient son ex. On avait pris un verre un jour tous les quatre, il avait été désagréable, comme d’habitude. Pas son ex, je parle toujours de la même personne, c’est facile. Du coup ça fait des années que je veux faire du roller mais que je n’en fais pas parce que je n’ai pas spécialement d’argent. Mais là j’en ai vu des pas mal chez Décathlon, je pense que je vais les acheter quand même.
Il a jeté mes os de dinosaure.
Je les ai trouvés moi-même en chantier de fouilles. J’ai fait des fouilles paléontologiques dans le sud de la France, parce que je veux être paléontologue depuis que j’ai 3 ans mais que je suis nulle en maths alors j’ai fait L et puis ensuite archéologie donc j’ai fait des fouilles archéologiques mais j’ai quand même réussi à m’incruster en chantier paléo et c’était bien. J’ai pêté des falaises à la barre à mine et puis j’ai eu le droit de repartir avec des petits bouts d’os vieux de 72 millions d’années. Je pourrais dire de quelle espèce et faire toute une description, mais j’ai pas envie, je vais me mettre à pleurer. J’avais aussi rapporté une crotte de ver de terre géant fossilisée. Il l’a jetée. Il n’a pas jeté ma mâchoire de sanglier, mais il l’avait déjà cassée en jetant une lampe dessus une fois. La lampe aussi, il l’a cassée.
Il a jeté ma housse de couette en satin.
Je ne sais pas pourquoi, j’ai un fetish du linge de maison et mon pote Guillaume avait eu 250€ de chèques-cadeaux au Bon Marché. Il me les a donnés et j’ai acheté une housse de couette en satin. J’aurais pu acheter n’importe quoi dans tout le magasin et j’ai acheté une housse de couette en satin… Il a aussi jeté ma housse de couette en toile de jouy érotique, et c’est lui qui me l’avait offerte, qu’il est con. Pas Guillaume. L’autre. J’avais repéré le motif dans les toilettes d’un bar un soir, c’est des personnages genre XVIIIe siècle qui se tripotent sur du gros coton couleur taupe. Bref.
Il a jeté mes pantalons.
Il a jeté mon jean hyper 90’s bleu-neige que personne n’aimait à part moi. Je le portais le jour où je me suis fait tatouer une partition dans le bas du dos, j’avais un bras dans le plâtre et un t-shirt Ramones. Il a jeté mon t-shirt Ramones. Il a jeté le pantalon bleu que j’avais acheté en Toscane et que je mettais toujours à la Fête de la musique. Il a jeté le pantalon délavé beige super moulant abusé que je mettais avec le t-shirt Cry Baby que ma sœur m’avait offert à New-York pour Noël. Je les portais le soir où j’avais rapporté des capotes I <3 NY à mes copines à Paris, et l’aprem avant, sur le parvis où j’ai failli me casser la gueule parce que j’avais mis des talons débiles. Il a jeté le t-shirt aussi.
Il a jeté mes pulls.
Celui avec les pièces écossaises aux coudes et les deux ou trois petits pull très doux que mon père m’offre toujours quand on est à New York et qu’il veut absolument renouveler son stock de pulls en cachemire bleu ou un peu saumon. C’est une tradition. Ma petite veste Adidas bleue marine que j’avais achetée à la Braderie de Lille et qui était la seule fringue qui allait avec mes cheveux jaunes décolorés moches. Plus tard, je l’ai perdue en plein festival des Vieilles Charrues et puis le lendemain, pendant un concert avec des milliers de personnes, j’ai vu une meuf qui la portait. Je suis allée la voir. Elle aurait pu me dire que c’était la sienne, mais non, elle me l’a rendue. Il a jeté mes sous-vêtements. Des gaines vintage qui coûtent la peau du cul et que j’avais eues en promo. Et puis tout le reste. C’est agréable, comme idée, mes culottes sur le trottoir.
Il a jeté mes peluches.
Quand j’étais petite, ma mère me disait que je plaçais mon affection sur les peluches, parce que j’avais du mal à le faire avec les gens. Enfin, plutôt, à manifester cette affection. Peut-être. Il y avait une souris qui dansait, une vache qui gesticulait et tremblait en faisant « moo moo moo », un mouton aux yeux fermés auquel j’avais mis un nœud-papillon datant du début du XXe siècle que ma mère m’avait offert. Il y avait Miss Piggy, un petit cochon qui s’appelait initialement Edwige quand il appartenait à ma sœur, mais elle s’en foutait un peu, et mon mec l’avait emportée avec lui à New York pour la prendre en photo un peu partout (Miss Piggy, pas ma sœur), genre Amélie Poulain et le nain de jardin quoi. Fort heureusement, Pla, la peluche grenouille a été sauvée. Elle est à côté de moi là. Puisqu’il ne me reste pas grand chose, je sais où tout est rangé. C’est pratique au moins. Mon déménagement a été léger. Dans tous les sens du terme. J’ai perdu tous mes vêtements, je sais pas, peut-être que ça va taper dans les 3000e, voire plus en fait, j’ai pas tout énuméré, et puis y a des trucs que j’ai oublié. Et des conneries qui ne valent rien, mais auxquelles je tenais. Merci.
J’ai réussi à sauver mes chaussures.
Enfin, c’est mes potes qui ont tout fait. Ils sont mis les pompes à l’abri dans une église juste à côté de là où j’habitais. Il avait déjà détruit mes bottes en gros cuir, en les déchirant à mains nues. Normal. Parce que j’avais dit lors d’une soirée qu’au bout de trois ans il était possible, dans la vie, d’avoir envie d’aller voir ailleurs. Je ne parlais même pas de moi. Sic. Mes potes ont sauvé mes livres aussi. Je les avais mis dans des cartons avant qu’il rentre et qu’il me torde le poignet pour récupérer les clefs. J’ai réussi à sauver mon perfecto (heureusement) et mon chat. Parce que je les avais embarqués ce jour-là. Une intuition. J’ai perdu mes des papiers aussi. J’ai eu des boss sympa qui ont accepté de tout ré-imprimer pour m’aider et puis des ami-e-s qui ont rassemblé 250€ à mon anniversaire pour que je puisse acheter une doudoune et des trucs chauds parce que je partais à New York un peu après. Je l’ai mise ce matin ma doudoune, elle est très bien.
À la fin je n’avais plus que mon jean bleu, mon pull tout mou Nirvana, les sous-vêtements que j’avais sur moi, mon débardeur bleu turquoise avec la tête de mort derrière, et plein de chaussures. Enfin, plein. cinq ou six paires maxi. J’ai récupéré mes livres. Mon perfecto. Et mon chat. Faut pas déconner. Là j’aurais appelé les flics.
Mais j’ai rien fait.
Enfin si, l’Amandier.
Etc.
Tan
Illustration par Valérie Prunier
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