En direct de La Jungle (zone des campements), des barbelés, des contrôles poids lourds…

Et les exilés le long des routes.

Je trouvais que Grenoble était la pire ville de France.
J’ai changé d’avis.

Je suis traumatisée à vie.
Après les petits poneys qui continuent de tourner et tourner sans jamais s’arrêter, les exilés Calais qui crèvent la gueule ouverte dans un no man’s land gris entouré de barbelés.

Après plus de douze heures dans les camions à charger décharger prendre la route et se retrouver à la frontière de l’Enfer… contrôle de police à minuit.
Lampe dans la tronche, sortie du véhicule, fouille, provoc’, tout ça tout ça… Pas à Calais pour savoir si on transportait des migrants dans le camion… Non non, de retour à Paris, comme ça, pour le fun.

Non, c’était juste pour faire chier.

Je te refais la scène, plus ou moins :

On est partis hier pour Calais, à quatre, avec deux camions. La conductrice du premier camion est venue de Chartres, le copilote de Malakoff, et Manu a loué un camion dans Paris qu’il a conduit jusqu’à Arcueil où on s’était tous donné rendez-vous pour charger les sacs, à 10 heures du matin.

Au retour, le camion pour Chartres a bifurqué en cours de route pour rentrer plus facilement, donc on s’est retrouvés à trois dans le deuxième camion. À minuit, on est arrivés à Arcueil où on raccompagnait le co-pilote pour qu’il récupère sa voiture et puisse rentrer chez chez lui, à Malakoff.

Il pleuvait, et il fallait faire un plein d’essence pour rapporter le camion au service de location le lendemain matin. Manu a essayé de trouver une station service 24h/24 sur son GPS mais ça ne marchait pas, il était au volant, il pleuvait, moi je n’ai pas mon permis, donc je lui ai dit d’aller se garer tranquillement, histoire qu’on n’ait pas un accident pour finir la journée en beauté.

Du coup on est allés dans un recoin en travaux pour ne pas stationner en plein milieu de la route. Quand on est ressortis, on est tombés sur une voiture. Il y a eu un moment brouillon : on sortait d’une zone à moitié cheloue et comme le GPS ne marchait toujours pas, on a décidé de prendre ne direction un peu au pif pour essayer de retomber sur Porte d’Orléans, où je me souvenais avoir vu une station-service, du coup Manu a hésité trente secondes avant de s’engager dans la rue et, je sais pas, les mecs dans la bagnole ont dû trouver ça zarbi, ils ont allumé leur gyrophare et sont sortis de leur voiture.

Manu, qui aime beaucoup la police, et qui était déjà de très bonne humeur à cause de la journée, la route, la pluie, le GPS pourri… a commencé à pester alors je lui ai dit de ne pas s’énerver, que je voulais rentrer et que merde, on n’allait pas se retrouver au poste pour rien là, merci. Alors il m’a dit « tu leur parles, moi je peux pas ». Arrivent deux mecs, chacun d’un côté du camion.

Flic 1 à Manu qui ouvre la fenêtre : Bonsoir.
Manu : …
Flic 1 : vous pouvez dire Bonsoir.
Manu : …

– après, je ne sais pas, parce que l’autre flic me parlait.

Flic 2 arrive, j’ouvre la fenêtre, il me met la lampe dans la tronche.
Lui : bonsoir.
Moi : qu’est-ce qu’il y a ?
Lui : contrôle d’identité.
Moi : pourquoi ? Vous pouvez arrêter de me braquer la lampe dans dans la gueule ?
Lui : non mais je fais bien exprès de ne pas la braquer justement.
Moi : putain n’importe quoi.
Lui : y a quoi dans le camion ?
Moi : il y avait des vêtements qu’on a apportés à Calais, il n’y a plus rien.
Lui : pourquoi vous êtes allés à Calais ? Vous habitez où ? À Arcueil ou à Calais ? Vous déménagez ?
Moi : ça ne vous regarde pas.
Lui : vous avez l’air bien énervée mademoiselle, c’est bizarre non ?
Moi : je me prends une lampe dans la gueule à minuit après douze heures de route, sans raison, vous trouvez vraiment ça bizarre ?

J’essaye de sortir du camion, pour voir ce qui se passe avec Manu.
Flic 2 : restez dans le camion.
Moi : pourquoi ?
Lui : vous êtes bien énervée mademoiselle, vous avez quelque chose à vous reprocher ?
Moi : je voudrais sortir du camion, c’est quoi le problème ?

Arrive Flic 1 qui me dit de sortir :
Moi : faut savoir, y a deux secondes j’avais pas le droit.
Flic 2 se pousse (c’était le plus con des trois, merci bien).
Je sors, je vois Manu qui a l’air d’excellente humeur… Un faciès digne de Mini*. Je sais pas si j’ai envie de rire ou si je me dis que c’est bizarre trois mecs qui sortent de nulle part, sans nous montrer de badge.

Flic 1 : vous avez des produits illicites sur vous, des armes, de la drogue ?
moi : non.
Lui : videz vos poches et aplatissez vos vêtements.
Moi : hein ?
(je vide mes poches, j’ai rien dedans à part un mouchoir que je jette dans la poubelle pile devant moi. Le flic n’a pas l’air de penser que ça peut être un pochon de coke ou quoi donc il ne fait rien).
Lui : aplatissez vos vêtements comme ça comme ça.
Moi : je comprends rien.
Il m’attrape brusquement le coude et me tourne.
Je me dis bon c’est quoi le délire là, y a trois mecs, Manu qui est super vénère, ça risque de partir en couilles…
Moi : mais c’est quoi le problème ?
Manu : y a un camion qui a volé des motos.
Flic 1 : vos papiers.
Manu : ils sont dans le camion, vous m’avez empêché d’y entrer.
Flic 2 va voir dans le camion.
Manu suit le flic en lui disant qu’il n’a pas confiance et qu’il n’y a pas de motos volées dans son sac à dos.
Flic 1 me dit d’aplatir mon t-shirt contre mon soutif. J’ai la mascotte koala accrochée comme un badge, je veux dire au flic que je n’ai pas de motos volées dans mon soutif, j’ai envie de rire mais ensuite ça passe quand il mate mes seins et qu’il tourne sa tête pour mater je sais pas quoi, mon cul, ou un flingue dans la poche, sait-on jamais.

Je regarde autour de nous : il n’y a absolument personne. Trois mecs super chelous, Manu, un camion vide… Et là Manu commence à s’énerver. Du coup les trois flics s’emballent, moi je dis à Manu de se calmer, que je veux rentrer, qu’on n’est absolument pas en tort, et que dans cinq minutes c’est terminé. Flic 1 dit je sais plus quoi. Je lui dis « toi aussi tu te calmes ! » Ensuite je me dis merde, ça va pas passer. Mais il répond « non mais c’est lui qui me parle mal ». Super.

Là, flic 2 nous sort sa phrase préférée : vous avez l’air bien énervé monsieur, vous avez quelque chose à vous reprocher ?
Manu : arrête de me parler, ferme ta gueule.
Moi : arrête putain, toi arrête de parler !
Flic 2 : vous avez l’air bien énervée vous aussi.
Moi : mais tu vas répéter ça en boucle jusqu’à ce qu’on te crache à la gueule ou quoi !!

Et puis soudain, les trois flics qui avaient manifestement envie de nous faire chier pour rien (ils ont fouillé Manu, ouvert le camion, cherché dans les sacs…) voulaient subitement nos papiers, mais ils ont reçu un appel et en même temps une voiture est arrivée, je sais plus trop, du coup d’un coup ils se sont barrés. Voilà merci bonsoir.

En parlant ensuite avec Manu, il me dit qu’il a insulté son flic 1 derrière la camion, qu’il l’a traité de connard, et sa mère et je sais pas quoi. Et Flic 3 n’aura pas eu le temps de briller, quelle tristesse qu’ils aient dû s’en aller.

Fin.

Et après la journée à Calais avec les flics partout autour des barbelés, tu te dis que bon, tant pis, c’était des cons, et puis voilà, pas grave, on a la chance de pouvoir rentrer chez nous où il y a un lit, une couette et *un petit chat mou.

 

Tan

 

 

 

 

 

 

 

Illustration par Emilie Pinsan