Je m’exprime en prose, si quelques vers s’immiscent, c’est que la musique des mots impose son staccato et cette musique j’en ai besoin pour naître comme pour le mal-être.
Je m’exprime en prose, pas pour l’eau de rose, je n’ai que des épines qui griffent et qui saignent. La prose comme la poésie soigne les maux parce qu’elle met à distance les ravages de l’instant T. Cacophonique mélodie.
Je voulais vous parler, je n’sais pour quelle raison, je ne cherche aucune re(co)nnaissance en vous.
Je voulais vous parler, peut-être parce qu’ici je me sens confortée et qu’il est des instants qui ne s’expriment jamais ou pas facilement.
Il y a longtemps, un long souvenir, sans date et pourtant plein d’avenir m’a marquée indéfiniment.
Il s’agit bien de violence sexiste mais je n’ai pu mettre de nom sur la liste que bien plus tard quand ce fut trop tard.
J’étais très petite (peut-être 5 ou 6 ans…) et le week-end souvent on allait voir mamie et papi.
À ce stade de l’enfance on préconise encore les siestes et papi aussi aimait faire la sieste, alors nous “dormions” ensemble.
Ai-je besoin d’ajouter des détails ? Non je n’ai pas envie. Je ne trouve pas ça utile, l’importance pour nous n’est pas là.
Ce dont je voulais vous parler c’est du ressenti, des séquelles, de cette prise de conscience et de ses conséquences.
Le sexe, tout petit, on sait pas bien du tout ce que c’est. C’est pas quelque chose qu’on s’empresse de vous apprendre et je n’y voyais pas de mal sauf quand ça faisait mal, je veux dire physiquement.
Papi était très délicat, il voulait pas que je crie, alors il avait inventé un jeu avec des règles tout ça et il fallait écouter papi parce que c’était lui le grand.
Le but c’était de se faire plaisir, de garder des secrets et moi je trouvais ça marrant souvent, ça chatouillait, c’était bizarre et puis c’était interdit.
Des fois j’avais pas envie de jouer alors je lui disais non mais il insistait avec des gros yeux alors ça fait un peu comme quand on est sur l’établi du gynéco, on n’y prend pas de plaisir mais on le fait quand même pour éviter les problèmes…
Ce petit jeu a duré pas mal d’années, comme un rituel, sans fréquence virulente, par intermittences.
Il fut un temps où je n’étais plus en âge de faire la sieste et où pourtant ma famille m’encourageait à poursuivre ce rituel, “C’est tellement mignon” !, “Va dormir avec papi, ça te fera du bien allez !”, “Ils s’entendent bien hein !”…
Il fut un temps où à l’école on commençait à parler du “machin” par-dessous le manteau comme une chose honteuse, dégoûtante, “Baaah c’est ça qu’ils font les grands!”, “chatte/bite/beurk/pute”, “les langues dans la bouche”, “tu sais c’est quoi une pipe?”, etc., etc. Une période dont je me souviens très bien tant elle m’a fait mal aux oreilles et surtout à la conscience…
Je me suis sentie sale, pute, beurk pendant des mois et des mois, et je réalisais seulement l’ampleur des actes que j’avais commis avec mon papi ! Le pire c’est que je me sentais aussi fautive que lui.
J’ai réussi à éviter la sieste lors des visites chez le grand-père, fermement, il en était surpris.
Un jour, d’un repas repue, j’ai voulu m’endormir, sans y penser, juste par fatigue.
J’ai été réveillée par son doigt, puis sa voix basse et là je me suis levée d’un bond, j’ai couru en dehors de la chambre sans un mot, terrifiée. Je me rappelle encore ses rappels pathétiques et discrets avec les gros yeux, “Bin qu’est-ce qui s’passe, tiote ?” “Chut ! Non ! Viens vite !”
Je suis allée pleurer dans les jupes de ma mamie à chaudes larmes. Évidemment, elle m’a demandé ce qui n’allait pas… Je me suis assise sur le tabouret, tête bêche, elle m’a posé plein de questions, je n’arrivais pas à répondre.
J’ai fini par répondre entre mes dents, elle a dû s’approcher pour entendre : “Papi, y met sa main dans ma culotte”.
C’est la seule phrase qui m’ait semblé appropriée, je n’pouvais pas résumer autrement et je savais que c’était déjà Trop…
Désolée pour les lecteurs mais ce qui va suivre sera encore plus long, car quand j’ai pensé “Trop”, je ne savais pas à quel point ce murmure de courage allait me desservir…
Ma grand-mère m’a fait répéter cette phrase, “est-ce-que tu es sûre de ce que tu viens de dire ???”, “C’est très grave de dire ça, tu t’en rends compte???”
Je n’ai rien démenti. Cette phrase n’était qu’une litote en + et je savais qu’il fallait que ça cesse.
S’ensuivent des interrogatoires pénibles et sans fin, du téléphone arabe entre grandes personnes, où toutes passent dans un coin pour parler à voix basse. Des observations de mon comportement que je ne pouvais pas ignorer même sourde et aveugle… Voilà qu’on m’accusait de fabuler.
Il faut savoir qu’avant cet aveu, j’étais la petite fille la plus choyée de la famille, puisque l’aînée de tous les petits enfants.
Il faut savoir qu’avant cet aveu, j’ai eu les meilleurs noëls de toute ma vie tant je semblais “l’enfant prodige” à tous les membres de cette famille !
Il faut savoir enfin que “papi” était le créancier de la famille car c’est lui qui prêtait l’argent en cas de besoin.
Du jour au lendemain, je n’étais plus rien ou plutôt pire, quelque chose de sale et de gênant.
Du jour au lendemain, je n’étais plus une enfant, j’étais une catin, une menteuse, une capricieuse, une vicieuse…
Enfin plus rien de bien.
Seul réconfort : ma grand-mère me confia que cet homme n’était pas mon grand-père biologique.
Autre problème sexiste d’une autre époque : le divorce était une honte sur elle, les familles recomposées étaient bannies, donc des demi-frères inavoués à l’état civil. Un tabou gros comme un mammouth…
J’avais foutu la merde d’une force que je n’imaginais pas.
Ce qui est bien ?
Même si
cet aveu n’est qu’un miasme de ce qui s’était réellement passé, je ne l’ai jamais démenti même sous la pression.
Ce qui est bien ?
Je n’étais plus une enfant et je pouvais juger les grands de la grandeur de mes 9 ans. Je découvrais la nature humaine dans toute sa splendeur et me marginalisais à jamais.
Je pense que c’est en partie pour ça que je n’ai jamais voulu faire partie d’aucun groupe et que je me suis toujours méfiée de tout dogme, de toute pensée unique, de toute règle, de toute forme d’intolérance. (La seule généralité à respecter c’est l’exception).
Ma revanche ?
Quelques années plus tard, ma grand-mère a voulu divorcer et m’a demandé de témoigner sur ce qui fut un mensonge…
J’ai refusé bien sûr puisque c’était pas vrai…
D’autres années plus tard, une de mes petites cousines me contacte pour le même problème, je l’ai soutenue et ai témoigné en sa faveur devant un juge.
Il n’eut que du sursis mais au moins on l’a prise au sérieux.
Ce fait divers du grand-père pédophile est très répandu sur des filles comme des garçons d’ailleurs, à tel point que je me souviens d’une phrase de fille au lycée qui disait : “C’est bon, qui s’est pas fait tripoter par son grand-père ? ! Y a pas de quoi en faire un cake !”
Bref, sauf votre respect, sans vouloir en faire “un cake”; j’ai trouvé l’idée de Tan magnifique : un blog libre où tout le monde peut venir s’exprimer sur sa façon de voir le sexisme quelle que soit sa manière de l’écrire. Parce que cette banalisation des faits divers sexistes est socialement convenue chez les filles comme chez les garçons et qu’il faut combattre ces automatismes.
Ce qui m’importe en fait, c’est la lutte contre le sexisme, je trouve que c’est un sujet trop important pour qu’on le traite à brûle-pourpoint. Beaucoup de participant-e-s sont à fleur de nerf sur le sujet, ce que je comprends parfaitement bien. Mais je ne pense pas que c’est avec des fleurs de nerf qu’on fera avancer le schmilblick…
Dans un combat, quand on veut terrasser l’adversaire, il faut un minimum d’empathie. Savoir ses points faibles, ce qui le fait réagir, sur quoi il se sent tout-puissant, etc.
On est jamais sûr de gagner, surtout quand y a toute une éducation à refaire mais y a moyen de marquer des points.
Et ça, ça n’se gagne pas en regardant son nombril, en se victimisant ou en reprochant des coups bas. Faut se battre quoi !
Si j’emploie cette métaphore, c’est que je pense que si on veut donner de l’impact à cette lutte contre le sexisme, c’est en étant objectives et unies. C’est-à-dire avoir le recul suffisant pour cibler ce que nos interlocuteurs/lecteurs ont besoin d’entendre et ce qu’ils n’ont pas besoin d’entendre. Être victime de sexisme est un fait, pleurnicher de déboires entre sexes opposés en est un autre. Je suis désolée d’être aussi crue mais si on veut être un minimum crédibles dans cette démarche, y faut pas se pisser dessus ! Avoir le caractère de rejeter le moule sociétal, c’est aussi montrer l’exemple à ceux qui s’y complaisent.
To be continued. thx.
M.
Illustration par M.