La maternité et la sexualité, vue d’un papa (gâteau).

L’angoisse. J’ai perdu sept kilos pendant la grossesse de ma femme, pendant que son ventre s’arrondissait et se dessinait, l’angoisse ne m’a pas quitté. À l’intérieur, il y a notre bébé : est-il bien, est-il à l’aise, bouge-t-il ? Ces questions tournent en boucle dans ma tête et j’essaie tant bien que mal de réduire la fréquence de mes questions à ma femme pour ne pas la stresser elle aussi.

De ces neufs mois, je retiendrai une angoisse permanente, car je n’ai accès aux informations qu’à travers ma femme, en tout cas les cinq premiers mois. C’est le premier, tout est nouveau et j’ai dans la tête pour quasi seule référence les centaines de films où l’on peut voir des grossesses : c’est le bonheur, la joie, tout se passe bien dans le meilleur des mondes.

Seulement, quelques semaines après le début de la grossesse, pour moi, c’est l’exact inverse : ma femme perd du sang, beaucoup de sang… Urgences, médecin, échos… J’entre dans un monde irréel. Le bébé, lui, va bien, les médecins n’ont pas d’explication : « Ça arrive. ». Les pertes de sang se multiplient, loin des films que j’ai pu voir, ma réalité est tout sauf joyeuse, j’ai peur vingt-quatre heures sur vingt-quatre, j’ai peur de perdre mon bébé.

Les dernières semaines, on souffle un peu, côté sexualité, c’est le néant le plus total, à cause des saignements de ma femme, je ne veux rien risquer, je suis tétanisé à l’idée de pouvoir faire le moindre mal au bébé, bien que je sache que c’est pratiquement impossible si l’on ne fait pas du rodéo.

Cinquième mois. Maintenant, le bébé bouge, je peux enfin le sentir, presque le toucher… Ces moments sont de merveilleux moments que je n’oublierai jamais. Je lui parle, lui chante une chanson, je joue avec lui… Dans ces courts moments, je sais qu’il va bien et ça me remplit de bonheur. Ma femme nous contemple, heureuse que je puisse le sentir du bout des doigts, elle qui le sent maintenant bouger dans son ventre, une sensation que je ne pourrai jamais connaître.

C’est le moment tant attendu, l’accouchement ! Mes émotions sont en ébullition… Peur, joie, hâte, nervosité, angoisse… toujours de l’angoisse. Les contractions de ma femme commencent à se rapprocher, j’ai assisté aux cours de préparation à l’accouchement, alors j’essaie de mettre en pratique tous les conseils que j’ai reçus. J’essaie de prendre sa douleur et de lui donner ma force, les derniers moments avant la péridurale sont très durs, mais on se serre les coudes, on s’accroche, ce sont des moments importants pour un couple. La péridurale posée, nous attendons calmement le combat final. Ça y est, le moment est venu, l’équipe autour prend soin de nous, ma femme pousse quand les contractions arrivent, moi je suis à ses côtés, lui donnant quelques conseils de respiration, lui rappelant à chaque instant qu’elle est formidable et courageuse. Je me rappelle encore ces moments rares, il faut supporter de voir l’être qu’on aime se tordre de douleur pour faire éclore la vie. Justement, il est là, un beau garçon aux yeux bleus, magnifique, parfait.

Quarante-huit heures. C’est le temps que vous avez avant la tempête de votre vie une fois que vous avez votre premier bébé dans les bras. Il dort… calme, tout est calme durant ces quarante-huit heures, on en profite pour admirer bébé, prendre quelques photos, se reposer.

Ensuite, débute la période qui a sans doute été la plus éprouvante de ma vie. Huit biberons et huit couches par jour pendant les premières semaines. Ma femme avait pris la décision d’allaiter au moins pendant un ou deux mois, pour le bébé. Je voulais quand même m’investir pour l’aider, donc on a choisi un allaitement mixte, où ma femme tirait son lait pour que je puisse donner le biberon au moins une fois dans la nuit, ce qui lui permettait de dormir un peu. Je ne sais pas si c’est nous ou pas, mais ça a été très laborieux… Donner le sein, c’est compliqué. Il faut que le bébé prenne bien le téton et on ne sait jamais vraiment s’il mange bien ou pas, avec l’alimentation mixte (biberon / seins) c’est encore pire, le bébé a plus de mal à téter au sein et le lait de la mère peut diminuer brutalement… Bref, c’est vraiment le bordel.

Pour finir, nous sommes passés après un mois au biberon, ce qui nous a grandement facilité la vie, mais les problèmes n’étaient pas prêts de s’arrêter.

À ce moment-là, ma femme a fait une dépression (dépression post-partum). Une vraie descente aux enfers pour elle et pour moi. Là où toute la famille exige que ce soit le plus beau moment de notre vie de couple, rien ne va plus… Ma femme va très mal, elle-même ne comprend pas ce qui lui arrive, son médecin tente de l’aider mais je vois bien que les moyens et le savoir à ce sujet sont assez limités. Durant plusieurs semaines, je vis un cauchemar, je n’ai aucun moyen d’aider ma femme, je suis impuissant à ce mal invisible. Je prends en charge toutes les nuits du bébé, les biberons et les couches, en allant travailler la journée avec un sourire d’usage au bureau. Qu’est ce qui se passe ? C’était censé être le bonheur et là, c’est un cauchemar.

La sexualité après l’accouchement est toujours au niveau zéro : d’une part, il faut laisser une à deux semaines après l’accouchement pour reprendre une activité sexuelle et en ce moment, ni moi ni ma femme n’éprouvons la moindre envie.

Une fois touché le fond, on a commencé à remonter à la surface, ma femme comprend peu à peu qu’elle est capable de s’occuper du bébé, qu’elle est parfaitement à la hauteur. On sait maintenant, un an après, que c’est la cause principale de ce qui a fait basculer ma femme dans une terrible dépression : la peur de ne pas être à la hauteur. Je ne doute pas que l’image de la femme (idéale) dans notre société ait sûrement contribué à cela.

Une fois le cauchemar terminé, enfin… Le bonheur pur. Ça y est, on a survécu ! Ma femme a même pu arrêter ses antidépresseurs, tout est enfin rentré dans l’ordre. Le petit fait ses nuits, je reprends peu à peu les nombreux kilos perdus dans la bataille.

La sexualité reprend son cours, après des mois sans rapport, c’est l’excitation la plus totale : on doit se retrouver, retomber amoureux l’un de l’autre, comme deux inconnus, nos corps ont tellement changé pendant ces derniers mois. Mes blocages s’en vont comme ils étaient venus et les envies reprennent peu à peu.

Voilà mon histoire, loin du paisible rêve véhiculé par la société : j’ai conscience d’avoir vécu des mois très difficiles et aussi, parfois, des moments uniques et très beaux. Comme on le dit si souvent, on devient mère, on devient père, seulement après une longue lutte. Ce que je peux dire aujourd’hui, c’est que c’est peu cher payé pour ce que la vie nous a donné en retour : notre enfant, si merveilleux.

 

Cédric

Dessin : un demi visage d'homme, l'oeil clos, avec un foetus au niveau du front.

Dessin : un demi visage d’homme, l’œil clos, avec un fœtus au niveau du front.

Illustration par AB.