Dans les films, au début les filles ne veulent pas puis elles finissent par avoir envie. Jamais le contraire, sinon ça finirait mal.

 Au début, c’était bien, gentiment, il faisait froid alors à deux c’était mieux.

Au milieu et à la fin, j’ai voulu arrêter, parce que je n’avais plus envie, parce qu’il s’y prenait mal, parce que je commençais à décuver. Mais ma voix s’est perdue quelque part dans ma gorge, il n’en est sorti qu’un filet, pas convaincant, d’ailleurs il n’a pas été convaincu. J’ai réessayé, mais il n’avait pas envie de m’écouter. De guerre lasse j’ai laissé faire pour pouvoir dormir. Je ne me souviens pas de toute cette soirée, juste d’un vague sentiment de dégoût. Je me rappelle avec précision l’incompréhension d’avoir été réveillée en pleine nuit par la sensation désagréable de sa bite dans mon vagin. Mais j’ai laissé faire. Après tout, j’avais déjà laissé faire une fois, alors je ne me sentais pas légitime de refuser une seconde fois. Et puis dehors, il n’y avait personne que je connaissais, et je crois que je n’ai pas compris sur le coup ce qui s’est joué cette nuit-là.

Vu de chez lui, je l’avais voulu, jusqu’au bout. Vu de chez lui, j’en revoulais. Vu de chez lui, on avait bu. Vu de chez lui, c’est flou. Vu de chez lui, j’en ai vu d’autres.

Vu de chez lui, il ne le voit déjà plus.

Après je suis passée à autre chose. Je n’ai pas voulu entendre ce cri qui n’était pas sorti, cette nuit-là, d’ailleurs je ne sais même plus laquelle c’était, juste il faisait froid et c’était Novembre 2008.

Après, parfois, je laissais sortir ce souvenir, mais en rigolant, au détour d’une conversation banale sur les plus mauvais coups qu’on s’était tapé. Et puis un jour, un an après environ, alors que je racontais cette histoire toujours un peu en riant, pour la première fois, les personnes qui m’écoutaient n’ont pas ri. Elles ont ouvert des grands yeux, elles m’ont prise dans leurs bras et elles m’ont demandé si je voulais qu’on aille lui casser la gueule. Alors là j’ai commencé à raccrocher les pièces du puzzle entre elles : mon malaise après cette nuit, ma sexualité un peu perturbée avec la personne avec qui j’avais été en couple après ça, mon mal-être général au moment où ça s’était produit, le manque de confiance en moi qui a fait que j’avais laissé arriver quelque chose que je ne pensais jamais vivre, en tout cas pas comme ça.

Vu d’ici, je l’ai voulu, au début. Vu d’ici, je n’en revoulais pas. Vu d’ici, on avait bu… mais vu d’ici, tout n’est pas flou : ni le pincement ni mon cri étranglé par son indifférence, ni la sensation désagréable en pleine nuit.

Je me souviens d’une autre histoire, vers avril 2011, au Portugal. C’était une soirée chez des amis, et le LSD mélangé à l’alcool m’a donné envie d’aller me coucher. J’ai pris le lit de mon pote, et en plein milieu de la nuit, j’ai senti des mains partout autour de moi, au début j’ai cru qu’ils étaient deux tellement il y en avait. J’ai dû mettre un peu de temps à réagir, une ou deux minutes, peut-être plus, je dormais, j’avais bu et consommé des drogues. Je l’ai repoussé une fois, il a insisté, j’ai recommencé à me dégager, en parlant cette fois, en disant non, clairement. Il a essayé de négocier, je ne l’ai pas supporté et j’ai usé de toute ma force pour le dégager, je suis sortie du lit j’ai crié que je ne voulais pas coucher avec lui, je n’ai rien dit de plus parce que l’émotion m’a empêchée de trouver d’autres mots dans une langue que je ne maîtrise pas totalement. Je suis partie, j’en ai parlé avec une amie qui n’a pas trop su quoi dire.

Cette fois j’ai compris tout de suite ce qui s’était passé, j’ai mis des mots dessus, des mots durs, que j’ai balancés à la figure de mon agresseur quelques jours après, pour lui expliquer pourquoi je ne voulais plus lui parler.

Maintenant je sais que ce qui m’est arrivé c’est arrivé à beaucoup d’autrEs, je sais que ce n’était pas de simples accidents de simples débordements, je sais que c’est le résultat d’une culture du viol omniprésente, qui nous écrase et qui nous empêche de nommer des actes, des agressions sexuelles, des viols, parce qu’on nous a appris que le viol, ce n’était pas ça. Parce qu’on nous a appris que si on n’était pas la victime irréprochable pas trop bourrée, pas trop aguicheuse et pas trop amie avec l’agresseur, alors ça n’en était pas vraiment un et c’était bien de notre faute.

La première fois, je n’ai pas protesté plus que ça parce que je n’avais pas encore appris la valeur de mon propre désir, parce qu’on ne m’a pas assez dit que mon corps n’appartenait qu’à moi et que personne ne pouvait se l’approprier sans mon accord. La deuxième fois j’ai réussi à dire non, mais j’ai contenu ma rage face à mon agresseur. Aujourd’hui, je sais que ça ne m’arrivera plus parce que des discussions, des lectures, des actions, des ateliers, des féministEs, des amiEs, m’ont donné assez d’outils de confiance en moi, de rage et de courage pour mettre au tapis le prochain qui essaiera de se passer de mon consentement.

 

Alegria

Illu VUES D'ICI

Illustration par La Décadanse