Je connaissais le mot asexualité comme la plupart des gens. “L’asexualité ? Ouais les gens qui ne couchent pas, quoi.” Ça ne me concerne pas. Je n’ai surtout pas envie que ça me concerne. Je ne suis pas bizarre moi, j’ai pas de problème.
J’ai pas de problème, c’est juste que je ne prends pas beaucoup de plaisir. J’ai pas de problème, c’est juste que je pleure souvent après avoir couché avec un mec et tout le temps la première fois. J’ai pas de problème quand je couche pour faire plaisir. J’ai pas de problème quand je couche pour être bonne. J’ai pas de problème quand mon plaisir passe au second plan.
J’ai pas de problème mais j’ai ce que j’ai appelé des blocages. C’est toujours moi qui initie parce que je supporte pas de me sentir trop désirée, ça me dégoûte. Et quand je décroche en plein milieu, et que je vois l’autre continuer à prendre du plaisir, ça me fait sentir mal. Mais pas de souci, on s’y habitue. Un peu. Et toutes les filles savent simuler, il paraît.
C’est si ancré en moi. Je ne saurais même pas vous dire d’où ça vient. Personne ne semble me l’avoir dit clairement mais pourtant je le sais. Le sexe est une compétition. Et si je veux avoir de la valeur, je dois être bonne au lit.
Alors je fais tout pour.
Je m’inquiète un peu aussi, car, ça on me l’a clairement dit, tout le monde aime le sexe. Et moi je n’aime pas trop ça. Enfin, ce n’est pas que je n’aime pas ça. C’est juste que ce n’est vraiment pas si extraordinaire. Puis ça m’apporte trop d’angoisses, de complications, de complexes et de blocages. Je rêve d’un monde où le sexe n’existe pas. Je préfère toujours me satisfaire seule.
Je vais croire pendant des années que je n’ai pas d’orgasmes alors que c’est juste qu’on m’avait dépeint ça beaucoup plus incroyable que ce que je vis.
Je fais tout pour être allosexuelle. Je couche avec mes partenaires souvent, je me force à tester de nouvelles choses. Oui, JE me force. Je m’inflige ça. Même quand on ne me le demande pas. Et quand j’y arrive, je suis fière de moi mais ce n’est jamais assez. Je ne suis jamais assez bonne. Je n’ai jamais assez d’expérience. Est-ce que j’aime ça ? Pas vraiment, mais là n’est pas la question. Même si elle continue de m’angoisser pendant quelques années. Pourquoi je n’aime pas ça autant que les autres ? Pourquoi je ne prends pas autant de plaisir ?
Est-ce que ça me manque ? Non, mais je ne veux pas être différente, surtout pas. Je n’oublie pas que je dois plaire et plaire aux mecs, ça passe par le sexe, tout le monde le sait. Alors je continue ma quête.
Puis arrive un événement que j’ai appelé sur le moment “plan d’un soir”.
Je rencontre un mec, je finis chez lui, je n’ai pas envie de coucher avec lui mais je ne vois pas d’autre issue, j’ai peur qu’il me viole alors je lui donne ce qu’il veut.
Le lendemain, je me dis que j’ai passé un nouveau cap dans ma sexualité et ma quête de la bonnasserie. Je peux maintenant coucher sans sentiment, je deviens un meilleur coup. Mon but ultime, toujours.
Puis je démarre une nouvelle relation. Quelques temps plus tard, je me découvre asexuelle et toutes, oui, toutes, les barrières tombent. Je me sens légitime de ne pas avoir à être un bon coup, ce que j’ai tenté d’être pendant 6 ans. Je me sens légitime de ne pas ressentir la plupart du temps de désir ou d’attirance. Je me sens légitime de ne pas mettre le sexe au dessus de tout, comme la meilleure chose du monde. Je me sens légitime de ne pas devoir satisfaire un mec au détriment de mes propres envies.
Je me sens légitime d’être ce que je suis.
Peut-être aussi parce que depuis quelques années que je traîne dans les milieux féministes, je lis une version différente des choses. Je lis que ma valeur ne réside pas dans le fait de plaire ou non aux hommes. Peut-être parce que je devine, en filigrane, que je mérite mieux, que je suis précieuse. Et peut-être aussi, parce que je m’aime.
Et là, d’un coup, d’un seul, je ne veux plus me forcer. Je ne peux même plus le faire.
Sauf qu’avant de connaître la merveilleuse sensation de liberté et de force que me donne cette nouvelle estime de moi, je vais d’abord me prendre dans la gueule toute la violence de pressions et d’injonctions sexuelles clairement formulées.
Mais c’est trop tard. Je suis libre. Et je ne pourrais plus jamais revenir en arrière. Je sais ce que je vaux, je sais ce que je mérite. Et plus jamais, je ne m’infligerai de telles souffrances.
Je refuse l’injonction au sexe. Je refuse qu’on appelle des envies sexuelles, des besoins. Je refuse qu’on parle de misère sexuelle. Je refuse qu’on sous-entende que le sexe est un dû. Je refuse les injonctions qui nous disent comment coucher, dans quelles positions, à quelle fréquence et avec qui. Je refuse l’injonction au plaisir. Je refuse l’injonction au désir. Je refuse l’hypersexualisation des corps. Je refuse l’injonction à la libération sexuelle.
Parfois, je baise, le plus souvent je ne baise pas, je me fous d’être un bon coup, et je vais bien, merci.
P.

Des silhouettes de femmes, toutes sans têtes, couchées dans diverses positions, vues sous des angles divers, s’emmêlent et s’enlacent. Des couleurs pastel remplissent certains espaces formés par les lignes. Au centre, écrit à la main, on peut lire : Je vais bien, merci.
Illustration par Barbara R – 2016
Merci d’avoir écrit ce témoignage fort, je me retrouve beaucoup dedans.
Je n’ai pas réussi a autant me forcer à coucher (c’est pas plus mal tu me diras), mais la façon dont tu parles des blocages, de ton ressentis, le fait que tu ne voulais pas entrer dans la “case ace” me parle énormément…
Bonne continuation !