Cela fait déjà un an que cela est arrivé quand je tombe sur un article du Huffington Post, “au lieu d’en parler sur les forums, parlez-en à des professionnels”, après quelques jours d’hésitation, je prends mon courage à deux mains, c’est maintenant ou jamais, si je n’appelle pas maintenant, c’est certain je ne le ferai jamais.
Le téléphone sonne, j’espère quelque part que personne ne répondra, mais quelqu’un décroche. Une voix qui se veut tout de suite douce et rassurante, qui me parle de son collectif, de ce qu’ils font pour les femmes pour que je sache à qui je me dévoile.
Elle me demande “qui est l’agresseur” et tout de suite, le mot me choque, agression ? Je ne sais pas vraiment si ce qu’il s’est passé est une agression, elle m’explique que si j’appelle alors c’est que quelqu’un a forcément outrepassé mes limites, qu’il faut que je me fasse confiance. Et là, les larmes coulent de plus en plus sur ma joue, en silence, toujours en silence.
Je lui raconte alors, ce soir de la deuxième semaine de rentrée, où je ramène un garçon, pour qui je craque depuis le début de l’année, chez moi. On s’embrasse, jusqu’au moment où je sens que relation sexuelle il va y avoir, j’en ai envie, je lui demande d’enfiler un préservatif, il m’explique d’abord qu’il ne sait pas s’il en a un, il en trouve un dans son porte-monnaie mais n’arrive pas, dit-il, à l’enfiler.
On est déjà nus, il vient sur moi, continue à m’embrasser, je lui explique que je ne veux pas le faire sans préservatif, je répète deux fois: “Pas sans capote, pas sans capote”. Il reste sur moi, m’embrasse, je bouge mes jambes, j’essaie d’éviter son sexe qu’il tente de faire entrer malgré tout. Quand je m’arrête de bouger, il rentre d’un coup et ça commence. Il me demande après de monter sur lui, je m’exécute, je suis figée, je fais et j’attends qu’il termine.
J’étais consentante pour moi durant les six premiers mois après ce viol, cela n’en était pas un dans mon esprit, mais on est vite rattrapé par les flashs, par la mémoire traumatique durant les actes sexuels suivants. Quand l’été d’après, je confronte celui qui est devenu un petit ami attentionné entre temps sur ce qu’il m’a fait, il me dit : “Quoi tu sous-entends que la première fois qu’on a couchés ensembles, je t’ai violée ?!”
Viol, c’est lui qui met le mot très vite, avant moi comme me l’explique la dame que j’ai au téléphone, si j’ai encore des doutes moi, lui le sait, ce qu’il a fait ce soir-là était un viol. Je me retrouve là, dans une situation surréaliste, à vingt-et-un à avoir une conversation sur ce qu’est une relation sexuelle normale par une inconnue au bout du fil, “une relation sexuelle normale c’est une relation durant laquelle je peux dire stop à tout moment”.
Alors restent les questions, les miennes “pourquoi à ce moment-là je ne bouge pas, pourquoi je ne le frappe pas, pourquoi je ne comprends pas pendant longtemps ce qu’il se passe” et celle des amies, de celles qui ne connaissent pas et ne comprennent pas “non mais si tu ne voulais vraiment pas tu l’aurais repoussé, quelque part c’est que tu voulais” et qui vous replonge dans une culpabilité.
Face à cela au téléphone on m’ouvre les yeux, on me redonne la place que j’avais à ce moment là, j’étais sous le choc, mon cerveau a bloqué, il m’a protégé de la violence de ce qu’il se passait, je me suis protégée.
Le premier pas pour guérir c’est de reconnaitre ce qui n’est pas toujours facile, je m’appelle C, j’ai vingt-et-un, j’ai été victime d’un viol, mais je ne serai pas toujours victime.
Hachi
Pour aller plus loin : Apathie et sidération

Aquarelle : sur un fond de gris nuancés, en bas, au centre, il reste un espace blanc, sur leuel est dessinée une jeune femme, de face. Elle ferme les yeux, elle est inquiète, elle tient un téléphone à son oreille. Le fil du téléphone monte vers le haut de la page et rejoint un nuage de couleurs pastelles (autre rupture dans le fond de gris). Dans le nuage, dessinés au trait fin, un homme et une femme, nus, ont une relation sexuelle. La femme n’est clairement pas heureuse.
Illustration par Sime Graffiti