J’ai vu le sadisme à l’état pur, le sang et les coups, les bleus et j’ai senti le froid m’engourdir.

J’ai entendu la démence et les appels à la clémence.

J’ai vu jusqu’où il pouvait aller, j’ai senti mon corps se désagréger, je me suis sentie renoncer, morcelée, j’ai compris que ça ne servait à rien de résister. Obtempère salope.

J’ai entendu les os s’entrechoquer, j’ai entendu les déchirements, leurs chuchotements.

J’ai regardé le sang couler de mes cuisses, je me suis forcée à disparaître. Je me suis repliée dans une annexe de moi-même, et j’ai attendu que passe le tonnerre.

Parfois, encore, dans le noir, je le sens tout proche de moi, il se presse contre ce corps qui n’est plus le mien. Il est à nouveau en moi, et à nouveau je n’existe plus, je suis sa chose, cette enfantine putain paralysée.

Les gens détournent les yeux, la pestiférée, la tarée, celle qui refuse de garder la pénétrante misogynie dans un coin de sa tête. Celle qui veut crier ses viols à la face du monde. Vous devrez les regarder en face. Ils existent, j’existe. Vous ne nous ferez pas disparaître.

Et la violence qui m’éclate à la face, comme lui éclatait en moi, cette violence que je dois affronter seule, cette nausée gigantesque qui me scie les jambes. Cette rage que je traîne, cette envie de tuer et d’éviscérer, de reconquérir mon corps, de récupérer mon sang, d’être aussi terrifiante pour eux qu’ils le sont pour moi. Qu’ils cessent de regarder ce corps empoisonné, arrêtez de le toucher comme s’il n’avait pas été nié au plus profond de son individualité, qu’ils cessent de jouir de moi et de cette peur d’être seule, cette peur qui me pousse à courir après mes bourreaux.

Devenir mécanique, oublier, mon nom, mon passé, qui je suis et pourquoi je fais ça. Juste un immense magma.

Laissez-moi quitter la réalité, laissez moi oublier que j’ai été serrée sans consentement, laissez moi oublier que la terreur de l’être à nouveau ne me quittera jamais. Laissez moi faire le deuil de moi-même.

Les violées se révolteront.

 

שָׂרָה

Dessin au crayon en noir et blanc : une cage avec deux barreaux déformés pour laisser la place de s’échapper. Une paire de jambe s’enfuit en courant vers une ouverture lumineuse, son ombre immense derrière elle. Sur l’un des barreaux déformés, un petit mot : “Ni oubli ni pardon”.

Illustration par Chloé de Senarclens