J’ai 35 ans. Suite à une aménorrhée prolongée on m’a diagnostiqué un Syndrome des Ovaires Polykystiques à l’âge de 17 ans. SOPK ça veut dire, en gros, que mes ovaires fabriquent bien des ovules, mais que ces derniers, au lieu d’avoir un cheminement normal, font des « bulles » à la surface de mes ovaires qui, par conséquent, sont plus gros que la moyenne. Au début, rien de particulier, à part l’absence de règles. C’est sûrement con, mais ça me plaisait, à moi, de ne pas m’encombrer avec des douleurs et saignements mensuels. Et personne du corps médical n’avait l’air plus inquiet que ça. Et puis, à cause du dérèglement hormonal, voilà qu’à 20 ans j’ai des grosseurs dans les seins : des kystes dits « fonctionnels ». On me dit que c’est fréquent et que, comme le reste, ça passera surement à la fin de la puberté. Ayant été réglée tard, vers 16 ans, je ne suis pas vraiment inquiète.
Mes kystes et moi on part au ski et là, c’est le drame. Dans le bus qui nous emmène à destination, le plus gros d’entre eux explose ! J’ai entendu en même temps que senti la déflagration. Panique. Arrivée à destination, je m’enferme dans la salle de bain pour m’examiner : un bleu énorme était apparu en surface sur le sein. Le doc de la station me donne des antalgiques et me conseille vivement de consulter au plus vite à mon retour à Paris. Semaine horrible, douleur infernale. Dès mon retour, je vais donc à l’hôpital où j’explique mon cas et un rendez-vous est pris. Le gynéco qui m’accueille est accompagné d’une psychologue de l’hôpital et je me dis d’instinct que ça sent mauvais. Il m’explique qu’il n’y a rien de très alarmant mais que, par précaution, il doit effectuer un prélèvement du liquide contenu dans le kyste pour l’analyser. Ok. À ma question « est ce que c’est douloureux ? », il me répond « pas du tout, neuf femmes sur dix ne sentent rien ». De toutes façons, je me dis qu’il va faire au mieux. J’aurais préféré qu’il commence par ne pas mentir…
Je prends mon courage à deux mains et décide de les laisser faire leur boulot. Une fois allongée sur la table, je le vois sortir une seringue énorme. Il m’assure que si c’est douloureux je n’ai qu’à dire stop et qu’il arrêtera immédiatement. Encore un mensonge. Dès qu’il pique dans mon sein avec son aiguille pour chevaux, je sens que ça ne va pas aller. Je me mords les lèvres, je serre les dents, je gémis, je transpire et j’encaisse. Il l’enfonce profondément pendant que la soi-disant psychologue me tient fermement. Cinq secondes passent, peut-être dix. Je n’en peux plus, je souffre trop, et entre deux sanglots je dis « STOP !». Puis je crie « STOP ! », je hurle « STOP, STOP, STOP !!! » en me débattant pour me dégager pendant que la psy me maintient plus fort par les bras et m’empêche de me dérober. Tout mon corps se soulevait de la table, retombait et se soulevait encore. La ponction a duré vingt à trente secondes, probablement les plus longues de mon existence. Je sors de là traumatisée. Comme on pouvait s’y attendre, l’analyse du liquide en question n’a apporté aucune information supplémentaire. Je n’ai plus jamais mis les pieds dans cet hôpital.
Plusieurs mois plus tard, nouvel épisode de kystes mammaires, je consulte un sénologue (le pro des seins). J’arrive dans son bureau en pleurs, j’ai peur de ce qu’il va faire et je lui explique pourquoi j’ai la trouille. Il me demande médusé si la ponction a été réalisée « à vif », c’est à dire sans utiliser d’antalgique local (ah parce que ça existe ?!?). Il conclut que ce genre de kystes se résorbent seuls et que la meilleure chose à faire est de ne pas y toucher, d’éviter les frottements et ne pas y penser. Les meilleurs conseils qu’on m’ait donnés ! Après ça, il y en a eu d’autres mais très peu, qui sont toujours partis d’eux-mêmes. Et en continuant de ne pas y penser, ils ont fini par ne plus revenir du tout.
Au fil du temps, cette même tendance à « fabriquer » des kystes a fini par provoquer des épisodes plus problématiques. Depuis l’âge de 23 ans et tous les trois ans environ, je suis sujette à des ruptures de kystes ovariens. Il paraît que le niveau de douleur est variable d’une femme à l’autre. Il se trouve que chez moi, c’est tout bonnement insupportable. À 28 ans, ça m’est déjà arrivé deux fois, et suite à un « problème mécanique », je ressens à nouveau cette douleur que je connais bien. La nuit passe et dès le lendemain matin comme je suis incapable de me déplacer seule, une ambulance m’emmène aux urgences, puisque c’est la seule chose à faire. Heureusement, je suis accompagnée de mon ami. Ils ont des urgences gynéco à l’hôpital, c’est là que je me rends, je commence à avoir l’habitude. Une interne s’occupe de moi, elle me pose les questions habituelles : symptômes, antécédents, niveau de douleur, etc. À ce moment-là déjà, je sens que je l’agace. Ça fait cinq heures que je prends sur moi pour ne pas hurler, que j’oscille entre malaise et gémissements sur un brancard dans le couloir, sans compter la nuit plus que pénible que je viens de passer, et elle, je L’AGACE !?! Pendant que je réponds à ses questions, elle souffle, lève les yeux au ciel… Et moi je prends sur moi. Elle finit par m’examiner. J’ai les pieds dans les étriers, cul-nul en chaussettes, et ça frappe à la porte. Comme il y a un rideau qui sépare le bureau de la table d’examen je ne vois rien, mais j’entends plusieurs personnes entrer, parler à l’interne, et finalement franchir la frontière délimitée par le rideau. J’ai donc dans mon champ de vision à cet instant mes cuisses, mes deux genoux, mes poils pubiens, mes chaussettes, et au milieu, six personnes en blouse blanche qui discutent d’autre chose et se font des blagues devant ma chatte en panoramique. Mélange de discrétion et de respect : j’ai adoré. Après échographie, rien à signaler selon elle : elle me donne une ordonnance sur laquelle je lis Spasfon et Doliprane. Evidemment, je SAIS que ça ne suffit pas DU TOUT alors j’insiste lourdement et elle ajoute du Tramadol, en me répétant à plusieurs reprises « qu’il n’y a rien » et que, par contre, « j’ai l’air stressé et que je ferais bien de me détendre » (wtf ?!?). Comme je ne veux pas batailler avec elle et que l’intraveineuse de morphine me donne l’illusion que je suis un peu soulagée, je rentre chez moi (en ambulance quand même, hein).
Ensuite, le cauchemar. Au bout de deux heures, je double les doses de tout ce qui figure sur l’ordonnance. Je passe les cinq jours qui suivent à souffrir le martyr, à dormir par tranches de trois heures (le temps de reprendre les médicaments) de jour comme de nuit et à rester immobile dans mon canapé, tant le moindre mouvement me coûte. Le sixième jour, mon mec appelle les pompiers : j’ai perdu huit kilos et je suis à présent folle de douleur, au point de donner des coups dans ce qui se trouve dans mon périmètre en hurlant comme une possédée. J’ai été tentée de sauter par la fenêtre pour arrêter ça. On habitait au quatrième. Retour aux urgences du même hôpital. Et là bordel, je retrouve la même interne ! Elle lève les yeux au ciel en me voyant débarquer sur la civière. On recommence le même cinéma et à nouveau quand elle me demande « vous diriez que vous avez mal à combien sur une échelle de 1 à 10 ? », je luis réponds : « 9 et demi ». Depuis cinq jours. Échographie : rien. Cette fois, je vais vraiment devenir dingue. Et là, miracle : je me souviens d’une machine qui fait écho et doppler en même temps (un truc en couleurs bleu et rouge avec lequel on m’a déjà examinée par le passé pour un épisode de rupture similaire). Je lui dis que je veux qu’on m’examine avec CETTE machine (bien plus récente et performante) et que je ne bougerai pas d’ici tant que ça ne sera pas fait. Festival de lever de sourcils et soupirs. On me fait attendre et attendre encore, puis quelqu’un d’autre (le manipulateur de la machine) me fait entrer dans la pièce dédiée. Il a introduit la sonde cinq secondes, l’a retirée en se levant et m’a dit : « Restez là. Ne buvez pas, ne mangez pas, ne fumez pas. Je reviens tout de suite ». Hein ?!? C’est une blague j’espère. Ça fait des jours que j’ai l’impression que je vais mourir pendant que ces gens me traitent comme une cinglée hypocondriaque, et maintenant, ils veulent m’opérer ! Autant dire que je n’étais pas du tout d’accord au départ. Mon mec m’a raisonnée, mais franchement, avec le recul, je ne pouvais aller nulle part… Surtout que la personne est revenue accompagnée de l’anesthésiste qui m’a clairement dit que chaque minute comptait. Pendant l’échographie, ils ont constaté que mon ovaire droit n’était plus irrigué DU TOUT. Résultat : opération en urgence quinze minutes après et ovaire sauvé de justesse : il avait fait cinq tours sur lui-même et était presque noir quand ils m’ont ouvert le ventre. Deux semaines plus tard, en me rendant à la visite de contrôle post opératoire, je croise mon interne préférée. Elle me sourit cette fois, et me dit « Ah, vous avez meilleure mine ! ». TU M’ETONNES.
En conclusion, j’ai appris qu’il valait mieux :
– Avoir une bonne écoute et connaissance de son corps et de ses antécédents médicaux
– Etre accompagné par une personne concernée et tenace
– Sur-jouer sa douleur puisque certain-e-s se roulent par terre à 3/10
Et que l’empathie n’est pas une affaire de genre, même quand on parle de gynécologie.
Elsa
Illustration par N.O.