Pour commencer, je tiens à dire que je ne risquais pas de devenir végétarienne, vu mon entourage. Tout était absolument normal, dans le meilleur des mondes, les animaux ne souffraient pas, ils ne se rendaient même pas compte qu’ils allaient mourir, etc. Oui, tout allait bien.

Alors, bien sûr, j’ai eu des doutes. Je n’ignorais pas ce qui se disait, mais on me promettait que ce n’étaient que des exagérations. Dans le même temps, on me recommandait de ne surtout pas regarder une vidéo d’un abattoir, que j’étais trop sensible pour le supporter. Est-ce que ça n’entrait pas en contradiction avec le fait que les animaux ne souffraient pas quand on les tuait ? Si ce n’était pas si terrible que ça, je pouvais bien en regarder, non ?

De plus en plus, les végan·e·s et les végétarien·ne·s ont porté plus haut leurs voix et je regardais ça de loin, en ne croyant pas comprendre, ou plutôt, en ne voulant pas comprendre. J’étais confortablement installée dans ma bulle, signe d’un bonheur éphémère et surtout aveugle. Quoi de plus confortable que de pouvoir sortir au restaurant ou de manger chez des ami·e·s sans se poser des questions ? Il n’y a rien de mieux que l’ignorance. Et pourtant… Un jour, ma bulle a éclaté.

Je pense que personne n’ignore ce qui s’est passé à l’abattoir d’Ales en 2015. À l’époque, j’aurais pu encore faire comme si de rien n’était. Juste ignorer la vidéo, comme toujours, et passer à autre chose. Mais cette fois-ci, j’ai voulu en avoir le cœur net. J’ai regardé la vidéo. Le choc. Je n’ai même pas pleuré tellement j’étais sidérée. Et en colère. Mais je n’ai pas tout de suite voulu devenir végétarienne. Pour être honnête, ça ne m’avait pas traversé l’esprit à ce moment-là.

J’ai donc continué ma vie l’air de rien, en continuant à manger de la viande et du poisson. Mais ça ne pouvait plus continuer ainsi. Plus j’en mangeais et moins j’arrivais à en manger des quantités normales. Les images de la vidéo ne me revenaient même pas en tête comme on pourrait le croire : mon cerveau a fait un blocage dessus, bien que je reconnaisse des captures d’écran de cette vidéo du premier coup, ce qui prouve que ça a laissé une marque indélébile. Mais le dégoût s’était invité. Jusqu’au point de non-retour, où j’ai tout simplement refusé d’en manger un jour. Ça aura duré un mois.

J’ai donc fait des recherches et je suis parvenue à la conclusion que ça ne pouvait plus continuer comme ça. Que les gens pouvaient bien pleurer sur ces vidéos et bouffer ensuite leur steak-frites comme si de rien n’était juste après, ça ne changerait rien. Je n’ai même pas eu besoin d’être convaincue par le végétarisme pour savoir déjà inconsciemment ce qu’il fallait faire. J’ai donc décidé de devenir végétarienne pour commencer. À l’heure où j’écris ce témoignage, ça fait à peine un peu plus d’un an que je le suis.

Et ce n’est pas facile. Je me suis cognée à l’incompréhension de mon entourage. Mon ex-copain était très inquiet pour moi, d’autant plus que je n’aime quasiment aucun légume. (À celleux qui lisent ce passage avec un grand scepticisme, on peut compenser, promis, et mon taux de fer se porte très bien, merci). Carniste convaincu, il a aussi été très en colère contre moi car je sacrifiais les sacro-saintes sorties au restaurant. Mais ce n’était pas le pire. Lui avait au moins relativisé et notre rupture n’a rien à voir avec mon choix. Non, le pire, c’étaient les parents, la famille en général, les ami·e·s qui ont ridiculisé mon choix et continuent à le faire. On pourrait croire qu’iels se sont lassé·e·s mais c’est l’inverse, iels sont même de plus en plus virulent·e·s. Parce qu’iels disaient au début pour se rassurer que « ce n’est qu’une passade » mais iels constatent bien que ça ne l’est pas. Certain.e.s d’entre elleux se sont même inquiété·e·s pour mon ex-copain : « Et tu vas le forcer à ne plus manger de viande, hein, c’est ça ? ».

Et bien sûr, tou-te-s sont soudainement devenu-e-s des diététicien·ne·s professionnel·le·s. C’est étrange, quand j’étais juste difficile et que je n’aimais rien, on en rigolait ou s’en irritait mais on ne me disait jamais que je mettais ma santé en danger. Maintenant que le végétarisme s’est rajouté à l’équation, c’est la panique. Belle hypocrisie.

J’aimerais passer à l’étape supérieure (devenir végétalienne) mais ma situation actuelle ne me le permet pas. Elle ne me permet pas d’assumer mes choix jusqu’au bout, j’habite encore chez mes parents pour qui c’est toujours un scandale. La pression sociale est forte mais je ne dis pas ça pour vous décourager. Ce n‘est pas facile, certes, mais ce n’est pas impossible, c’est même très loin de l’être. Certaines choses pourront être retardées, mais la situation ne sera pas immuable. Ça prendra peut-être un peu de temps, mais faites juste de votre mieux. Le titre de ce témoignage n’a pas pour but de vous décourager mais au contraire de vous montrer que, même quand ce n’est pas facile, c’est réalisable. La preuve avec mon cas plutôt particulier. (Je n’aime pas les légumes, vous vous souvenez ?)

Alors, n’hésitez plus et lancez-vous.

Claire

Dessin au feutre sur feuille blanche : Une femme nue, aux jambes, au sexe et aux aisselles poilues lève le poing droit en l’air, visiblement en colère, le visage fermé. Un ours derrière elle dans la même position, la tient contre lui par le bras gauche. Il a l’air très en colère et des traits rouges autour du couple accentuent cette idée. En fond, un très grand carré rempli de motifs floraux bleus et violets.

Illustration  par N.O.