Ça commence par un malaise. Une déception quelconque, une tristesse générale, due à un sentiment de délaissement, probablement appuyé par la fatigue. On commence par se mettre volontairement à l’écart, espérant que quelqu’un viendra te chercher. Personne. On a remarqué que ça attirait l’attention, alors on commence à y penser. On essaie d’abord d’autres choses. On y pense, parce qu’on a quand même des amis pour nous repêcher. Des fois, on fait joujou avec les ciseaux en cours. Personne n’a l’air de remarquer. Petit à petit, la décision se prend : on en a envie, et ce soir-là, on le fait. On attend le soir. On y pense, on est presque fébrile. Couché, tout est prêt. Les ciseaux, les compresses, un petit peu de désinfectant, des fois.
C’est bon. Tu prends la lame. Tu trembles un peu, n’est-ce pas ? Tu presses ton doigt contre le métal. Puis le métal contre ton bras. Avec un plaisir sordide, tu appuies : tu veux couper, déchirer, saigner. La lame n’est pas très efficace, alors tu recommences, plus fort, plus longtemps. Après quelques tentatives, le rouge apparaît. Tu en veux plus, alors tu continues. Puis, appliqué, tu déplaces un peu la lame, et tu recommences. Tu veux que ça marque pour un moment, puisque tu sais que ça disparaîtra. Quatre, cinq lignes rouges sur les bras, plus si ce n’est pas la première fois, tu essuies les gouttes, tu ne veux pas tacher les draps. Tu presses ton bras, ta main contre ta peau brûlante. Ça fait mal, ça te plaît, et tu en jouis jusqu’à tomber dans le sommeil.
Le lendemain, tu te réveilles et penses de suite à tes actes. Tu en tires encore un plaisir mesquin.
Commence le paradoxe. Montrer. Cacher. Cacher car c’est tabou. Secret. Mais montrer qu’on va mal. C’est le but. Cacher pour garder le mystère. Ça dramatise. Attirer l’attention. Rendre cela évident, tout en faisant mine de rien.
On en joue, on en joue, on en joue.
Et puis on oublie. Les autres oublient. On ne montre plus, mais toujours, dans la solitude, on observe les plaies se refermer, cicatriser, et disparaître. Et on peut recommencer.
Disparaître ? Pas toujours…
H.

Peinture rouge sur feuille blanche : corps de femme accroupie, peint de petites lignes courtes, horizontales. Les seuls aplats de couleurs sont : ses longs cheveux, ses deux yeux (le reste du visage est blanc), son sexe, ses mains et un téton.
Illustration par Bleriotte
Instagram : @this.is.bleriotte