17/05/2016, 21.00, Stalingrad.
Trois mineurs d’origine maghrébine sont adossés aux barrières qui longent le trottoir. Ils ont 16 et 17 ans, mais pas de papiers. Ils espèrent, les années passant, un changement de situation administrative, et ce mercredi comme presque quotidiennement, ils ont rendez-vous avec des militantes d’un collectif de soutien aux exilés qui les orientent depuis leur rencontre sous le pont du métro aérien le 8 avril dernier. Ces jeunes sont sans papiers. Refusés au statut de mineurs isolés étrangers car ne pouvant prouver ni leur minorité ni leur identité, ils souhaitent déposer un recours comme la loi le leur permet dans les 3 mois suivant la notification.
La police arrive. Dans le café d’en face, un autre jeune de la bande assiste, impuissant, à la scène. Les militantes ne sont pas encore arrivées. Ce qui devait être un contrôle d’identité se transforme rapidement en une scène de film : les jeunes sont violemment plaqués au sol, face contre terre et menottés. Un témoin revenu sur les lieux quelques minutes plus tard manifestement choqué, raconte : « Ils les ont foutus au sol et menottés, c’était comme durant la Guerre d’Algérie, comme durant la Guerre d’Algérie ! ».
Une fois au commissariat, ils sont brutalisés, la tête de l’un heurtée contre une porte. O., le plus jeune, a la tempe rouge. H., le nez tuméfié et un hématome sur la pommette. Leurs poignets sont marqués par les liens trop serrées.
Ils reviennent vers Stalingrad, retrouvent les militantes et racontent, hébétés, incapables même de se remémorer le trajet qu’ils viennent de faire, le quartier dans lequel est situé le commissariat où ils ont été enfermés. Si eux ont été relâchés après une heure, I. a été transféré vers un autre commissariat pour une garde à vue. La recherche commence, sonneries interminables, répondeur, tournée des commissariats, accueil plus ou moins hostile, impossible de savoir où il est, de lui parler, de connaître même les raisons de son arrestation. « Seule la famille peut être mise au courant ». Placement en centre de rétention ? Comparution pour faute inconnue ? Une nuit et un jour d’inquiétude à courir après sa trace, chercher, supposer, alerter… et le combat ne fait que commencer pour lui éviter le pire, parce qu’il était là au mauvais moment, au mauvais endroit, avec la mauvaise gueule, et sans ces précieux papiers…
Il n’a disparu que depuis un jour et ses copains ont déjà publié sa photo sur Facebook, des messages de souvenir. Car depuis hier, malgré leur jeune âge, ils ont perdu leur naïveté.
Ils savent désormais qu’en France : ici, on cogne les Algériens.
Morgann Barbara Pernot

Photographie : une silhouette encapuchonnée dans un sous-terrain en ciment ouvert devant et derrière elle, sous une pluie battante.
Illustration par Emilie Pinsan
C’est triste ça pour le pays des droits de l’homme.