Ado, les mecs qui me disaient « on ne peut plus se voir, j’ai rencontré quelqu’un », ça me rendait dingue. Que ce soient les potes où les types avec qui je couchais, c’était toujours la même chose, le « j’ai rencontré quelqu’un » qui m’expédiait aussitôt bien loin de leur vie. Logique implacable.
Alors, quand moi aussi « j’ai rencontré quelqu’un », quelqu’un avec qui je me suis mise en couple et que j’ai aimé, j’ai aussi expédié les autres. Sauf un, dont j’étais encore folle amoureuse et à qui j’ai continué longtemps à écrire des tas de lettres. Ça s’est su, parce que ça ne se faisait pas. Mon Quelqu’un, ça l’a rendu fou de rage. Toujours la Logique implacable. J’ai présenté des excuses, j’ai serré les dents, j’ai accepté.
Ça a duré comme ça. C’était bien. Sauf le cul, ça ça ne collait pas. Mais genre vraiment pas. Il n’y avait rien à y faire, on se le disait, on en était malheureux tous les deux, c’était comme ça. J’ai serré les dents, j’ai accepté. On flirtait ailleurs, ça on pouvait. On embrassait ailleurs, ça on pouvait aussi. Ça nous faisait rire, ça nous faisait du bien. Un peu. Et puis c’est tout, la réflexion, les autres, ça s’arrêtait là. Et on retournait à toutes nos frustrations.
Presque neuf ans plus tard, je me suis aperçu qu’une nana le draguait. Beaucoup. Il a nié. Il m’a caché quand il la rejoignait pour boire un verre, que l’intérêt qu’elle lui portait lui faisait du bien. Je comprenais, je trouvais ça chouette, mais il me mentait. On a rompu avec fracas. Lui aussi il avait « rencontré quelqu’un ».
On a rompu avec fracas et j’ai rompu avec tout. Tout, c’était le peu qu’il me restait. Parce qu’après l’histoire désagréable des lettres, nous avions bien été vigilants tous les deux à ce que je ne m’éloigne pas trop, parce que bon, on était un couple et un couple ne fait qu’un. Toujours la Logique implacable.
Elle a servi de leçon, la Logique. Et elle est devenue maintenant implacablement Absurde.
Avec M. Avec nos discussions sans fin, avec notre amour partagé du cul et notre amour tout court.
Chloé

Polaroid et encre : formes floues, abstraites, corps en noir et blanc.
Illustration par Mila Nijinsky
Polaroid & Encre.
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