On était le 8 mars 2012 après la manif’ pour le droit des femmes et on devait aller faire un collage à Paris pour informer les habitant-e-s du quartier de la tenue d’une conférence du Bloc Identitaire intitulé « La France en danger », qui invitait un suprémaciste blanc proche du Ku Klux Klan.
On finit par se faire serrer comme des bleus, direction un premier commissariat, on était que deux femmes sur les dix arrêtés. Les flics ayant emboutit leur propre voiture en arrivant comme des cow-boys, on a dû ravaler nos rires pour éviter un outrage à agent par dessus le marché.
En attendant la notification de notre garde à vue, je voulais prendre ma pilule en douce et un schmidt, dans un rictus salace me sort : « Tatata vous avez pas l’droit, pis t’façon vous risquez pas d’en avoir besoin bwahahahha ! ». Joyeux 8 mars ! J’ai donc dû demander à voir un médecin afin de pouvoir prendre mon cachet : direction l’Hôtel-Dieu. Avant la mise en cellule on m’avait laissé mon soutien-gorge, mais avant de m’emmener à 3h du mat’ voir le doc un des deux flics a affirmé qu’il fallait que je l’enlève. Une fois là-bas on me met dans une cellule mixte (avant, c’était séparé hommes/femmes) en me disant ces paroles rassurantes : « Si on vous embête, criez très fort ! ». Les fois suivantes – durant les 64 heures qu’ont duré la garde à vue – j’ai pas voulu retourner chez le doc pour la pilule, mon cycle était foiré.
L’audition s’est faite à 4h du mat’ sans avoir vu mon avocate, avec les pressions classiques, menaces pour qu’on dénonce, qu’on dise à quelle mouvance on appartient. Moi, j’avais pas été formée encore à comment réagir en GAV, exercer son droit au silence notamment, mais je m’en suis tirée et j’ai fait réimprimer beaucoup de fois le procès verbal en corrigeant les erreurs d’orthographe, grammaire, etc. Pour faire chier, ouais.
Après un passage dans un deuxième comico, spécialisé dans les bandes organisées (coucou loi Sarkozy), on nous signifie la prolongation de la garde à vue et vers 22h on nous menotte, direction le panier à salade et le 36 Quai des Orfèvres, section anti-terroriste de la Brigade Criminelle. Oui, pour un collage. Comme dans chaque commissariat prise d’empreintes, mais là, la nouveauté c’est la prise de photos sous tous les profils pour informer le fichier GASPARD (ça veut dire « rat » en argot parisien du XIXème siècle), l’un des nombreux fichiers illégaux. Puis la prise d’ADN sous la menace d’une forte amende.
On finit cette aventure sans sommeil au dépôt du Tribunal de Grande Instance de Paris. C’est non-mixte, format cellule de prison, et pour les femmes ce sont les sœurs de Notre Dame de la Miséricorde qui prennent soin de nos corps et de nos âmes égarées. Petit luxe : une douche, après 64h de privation de liberté. Et surtout la Mère supérieure venant nous dire à ma camarade et moi, en attendant notre déferrement au parquet : « Mais alors vous êtes françaises, d’habitude on a que des étrangères ici, les françaises sont sages je comprends pas ». Être là en tant qu’antifasciste, antiraciste et rester coite. Et de conclure : « Et vous êtes née en province, fallait y rester : Paris est une ville de tentation voyons. »
Au procès, on aura écopé d’amendes plus fortes que celles demandées par la Procureur qui nous traitait déjà de « délinquants ». Le patron qui accueillait la conférence, proche de Sarkozy, a réclamé des dédommagements pour avoir traumatisé ses employé-e-s avec nos messages antiracistes : c’est certain que le racisme est moins choquant. L’un des magistrates aura demandé à une camarade pourquoi elle n’avait pas d’enfants à son âge. À moi elle avait fait remarquer que j’étais de père inconnu. Bref, on a pas vécu le pire dans cette histoire, mais on a eu un bon aperçu de leurs violences.
Voltayrine

Dessin blanc sur fond noir : trois personnages, l’un derrière l’autre. Au premier plan, le plus petit est une religieuse. Derrière elle, plus grand, se tient un juge en robe et perruque qui lève son marteau. Derrière lui, immense, un membre du Ku Klux Klan dans son costume blanc à capuche brandit d’une main un fusil et de l’autre, une torche allumée.
Illustration par Nanaki Antonomos