Je n’ai pas choisi.
Tout s’est imposé avant ma naissance. Issu des amours d’hôpitaux psychiatriques de ma mère et de mon père.
Pour tous, mon destin était déjà tracé.
Le suicide comme ma mère ou la prison comme mon père. Dans les deux cas, la folie. Des décennies d’errance entre ces deux extrêmes trop souvent approchés mais jamais consommés.
Mon univers est celui des émotions.
Anodines pour la plupart, trop souvent démesurées pour moi. Bonnes ou mauvaises elles peuvent devenir douloureuses et de la profondeur d’un gouffre sans fond.
Des émotions et des liens.
J’ai vécu tant de vie en une seule. Des vies de passions, des vies d’effusions.
Toujours à vouloir remplir ce vide indomptable qui m’englobe pendant que je ne cessais d’avancer sur le fil du rasoir. Ce fil de rasoir qui m’a permis si souvent de ne plus ressentir ce vide ; de faire taire les souffrances en entaillant ma chair, en faisant couler mon sang quand l’alcool et les drogues ne remplissaient plus leurs rôles.
Longtemps oubliés, les souvenirs des coups, des viols physiques et mentaux sont revenus s’imposer comme des bombes à retardement profondément enfouies.
Vertiges des horreurs de l’enfance revécues à l’âge adulte.
Et toujours ce sentiment de ne pas être comme les autres, le mouton noir, le vilain petit canard.
Diagnostic, trouble de la personnalité borderline. Un choc, un traumatisme.
Moi qui croyais être passé à côté. D’avoir esquivé la psychiatrisation. J’ai dû m’y résoudre. J’étais touché. Et très profondément.
Recul du déni. Prise de conscience. J’ai été victime. J’en ai tous les symptômes. Flagrants. Indéniables.
Commence pour moi alors la traversée en conscience de mon enfer personnel. À la recherche de mon vrai moi si longtemps enfoui pour correspondre à la norme. Acceptation que ma réalité soit au-delà des normes admises. Mes perceptions du monde sans communes mesures avec la majorité. Acceptation de mon appartenance à une minorité. Acceptation de ma nature.
Implication et engagement total dans ma reconstruction. La chenille est dans son cocon.
Travail sur moi. Analyse comportementale. Hypnothérapie. Psychomotricité. Relaxation. Sophrologie. Méditation. Arrêt des produits. Activités physiques régulières. Travail sur ma dépendance affective, sur ma peur de la solitude.
Affronter mes angoisses sans béquilles. Affronter mes peurs, mes démons, mes bourreaux morts ou vivants.
Déclic.
Ne plus se comporter en victime. Ne pas laisser cette victoire aux bourreaux. Mon caractère d’insoumis me rend encore service.
Et puis cette phrase qui ne cesse de résonner depuis quelques années dans ma tête :
« Avoir une personnalité borderline n’est pas un drame en soi… car après avoir acquis une bonne conscience de ses vulnérabilités, les traits de personnalité d’hier, générateurs de difficultés (trouble relationnel, chaos intense, sentiment de vide, rage, etc.), deviennent des générateurs de potentialités (intelligence émotionnelle, hypersensibilité, passion, authenticité, spontanéité, compassion, etc.) »
Tests neuro-psychiatriques qui révèlent un haut potentiel émotionnel. Sentiments confus face à ces résultats. Tellement de souffrances pour pouvoir apprécier.
Passage des cercles vicieux aux cercles vertueux.
Travail sur l’estime de soi. Sur la confiance en soi. Sur la capacité d’espoir. Ancrage. Centrage. Respiration et inspiration. Diminution de mes attentes, de mes projections. Permanence de l’ici et maintenant.
Et la peinture. Ma peinture. Qui me passionne depuis si longtemps. Depuis que m’exposer sur scène m’est devenu trop difficile. Depuis que le spectacle vivant me laisse mort.
Ma peinture qui me permet d’éclairer mon monde. De mettre mes tripes à nu sans aucune effusion sanguine. Qui occupe mes jours et mes nuits. Mes muses dont j’imprime les marques, les empreintes sur la toile.
Désir de vivre. Désir d’aimer et d’être aimé. Désir de pouvoir être heureux.
Le papillon est sorti de sa chrysalide.
Prêt à continuer à tordre son destin.
Il déploie ses ailes et les laisse sécher au soleil.
Prêt pour évoluer dans le vaste monde.
Pour y butiner ses nectars sans se soucier de la durée du vol.
Guillaume Brun

Photographie d’un graffiti : sur fond bleu, la grosse tête d’un chat rose à quatre yeux verts et, au-dessus, une tête de grenouille verte à la très longue bouche pleine de dents, les deux gros yeux blancs illuminés et éblouissants. Les deux bras en l’air, on voit son bras gauche pointer la gauche comme si elle désignait quelque chose. Plus bas dans l’image, à gauche du chat, une tête de mort.
Illustration par Carolyne Missdigriz
https://missdigriz.com