J’ai 15 ans, nous sommes en 1997.

Je prends la pilule depuis un an, mais j’ai déménagé. C’est pas évident pour moi d’aller au Planning Familial, car je dois sécher les cours.
Du coup, il m’arrive d’être en rade, parce qu’à la pharmacie bah évidemment, vu mon âge, personne ne veut me dépanner, même si j’ai d’anciennes ordonnances. Je viens d’emménager dans une autre ville que je ne connais pas du tout, mais j’ai enfin réussi à trouver l’adresse.

Nous sommes lundi matin, je viens consulter car j’étais en panne de pilule, et hier le préservatif a craqué. Voilà.

J’attends deux heures en salle d’attente, avec des filles de mon âge enceintes, des très jeunes mamans pour qui la pilule du lendemain n’a pas marché.
Le médecin me reçoit. Me déshabille, me demande si j’ai des montées de lait…je ne vois pas le rapport, mais je suis bonne pour une prise de sang. Puis je vais “attendre là-bas”. Ok.
J’attends, et puis je rentre dans une salle très sombre, où deux femmes m’attendent, et me demandent de me déshabiller entièrement. Ce ne sera que la deuxième fois de la journée, et puis, j’ai pas trop le choix, si ?
Et puis, elles font des remarques sur ma lingerie. Sourient, chuchotent entre elles, rient. Et me mettent un machin dans le vagin, genre énorme, sans me prévenir. Ça me fait mal, je ne comprends pas, je n’ai jamais passé d’échographie de toute ma vie. Je demande ce que c’est, pourquoi on me fait ça.

“C’est pour vérifier si vous n’êtes pas enceinte
– Mais heu mon accident c’était hier, c’est un peu tôt non ?
– Oui enfin si on croyait tout le monde sur parole hein *rires*”
Elles touillent dedans moi, j’ai pas d’autre mot. Et, surprise surprise, je ne suis pas enceinte.

Je retourne attendre, sans autre explication.
Le médecin me reçoit à nouveau, et me sermonne. Je dois faire attention (oui alors pourquoi ne délivrez-vous pas d’ordonnance renouvelable ??? Ah, si j’avais su…), et puis combien ai-je de partenaires différents, d’abord ? Un seul ? Depuis combien de temps ? Quel âge a-t-il ? Là, je mens, car il est tout juste majeur, je sens le piège.
Je ne suis pas quelqu’un de responsable, si je n’ai pas la pilule alors je dois m’abstenir, et c’est tout !
Comment ? J’utilise le préservatif car on a fait le test du VIH mais que mon copain m’a trompée ? Écervelée.
On ajoute une ligne sur l’ordonnance de la prise de sang.
Et une troisième pour être sûr de sûr de sûr que je ne suis pas enceinte, ça lui apprendra.

Je repars avec la pilule du lendemain et une nouvelle ordo pour ma pilule.
Personne ne m’a dit que j’allais avoir de fausses règles hémorragiques, des crampes ab(d)ominables, que j’allais être malade à crever pendant deux jours.
…et puis, un an après, j’oublie ma pilule. Le préservatif craque, je craque moi aussi car je dois y retourner. Encore un lundi matin.

Je revis au mot près le même calvaire, et pire encore, le médecin se souvient de moi et me traite d’incapable, d’irresponsable, je vais finir à 20 ans avec 5 gosses, j’aurai une vie de merde, ce sera de ma faute. Je sors, je pleure toute la journée. Rebelote, mais cette fois-ci je suis parée aux douleurs. C’est “normal”, c’est ma punition à moi, pour être une salope, ce mot que le médecin n’a pas osé prononcer, ce mot qu’il a paraphrasé avec une élégance rare tout au long de la consultation.

Si seulement à 15 ans on m’avait dit “oui, c’est le bon réflexe d’avoir fait pilule et préservatif” ou “si tu as des contractions épouvantables lors de tes règles, c’est peut-être ta pilule” ou “on va te faire passer une échographie par voie vaginale, normalement ça ne fait pas mal, mais dis-nous si tu souffres”.

Ou encore “c’est quoi ces bleus sur tes cuisses ?” parce que mon copain, en réalité, me violait.

Si seulement.

 


Jayne

Illu LES MATINS TRISTES

Illutration par La décadanse