J’aimerais m’exprimer au sujet de la tendance qui consiste à se revendiquer de la sorcellerie du fait d’être féministe et/ou impliqué-e dans la défense des droits LGBTI+. Celle-ci consiste essentiellement à se réapproprier en les mêlant de façon douteuse les pratiques telles que le sabbat et les persécutions sous forme d’exécution par le feu. Il y a aussi une négation (méconnaissance (?)) des profils des victimes de cette persécution et des raisons invoquées pour les assassiner.
On me dira que c’est la culture européenne, que ça ne touche plus personne de vivant et que les femmes cishet et les LGBT ont été directement visé-e-s par cette extermination méthodique, mais c’est faux.
Cette idée communément admise est propagée par la pop culture et une vision erronée de cette période de l’Histoire.
Premièrement, en ce qui concerne la croyance que les victimes étaient ciblées spécifiquement en tant que femmes :
Celles-ci étaient plus exposées aux condamnations arbitraires liées au sexe (la pratique) du fait du patriarcat mais cela concerne aussi d’autres peines, comme l’adultère (qui a dû faire encore plus de victimes…). De plus les femmes âgées, mariées et les enfants parmi les personnes exécutées/persécutées pour sorcelleries représentent une proportion largement majoritaire comparativement aux veuves jeunes et aux célibataires supposées potentiellement actives sexuellement en dehors du mariage… Donc pour la maxime « sorcellerie = liberté sexuelle » on repassera.
Les MOGAI : iels ont été torturé-e-s et tué-e-s pour ce qu’iels étaient certes, mais ça n’a pas de lien direct avec la sorcellerie même pour le pêché de bougrerie (masculin) qui est pourtant bien documenté. Qui plus est, très peu d’informations existent sur le lesbianisme, la bisexualité et sur la transidentité au Moyen-Âge donc les relier avec la chasse aux sorcier-e-s est relativement hasardeux.
Pour ce qui est de la représentation masculine cis hetéro parmi les victimes: Elle est mal évaluée par l’imaginaire collectif. Les sources que j’ai pu voir en fouillant partant pas loin donnent de 50% à Paris à 30% sur toute la période dans toute l’Europe avec de grosses variations régionales.
Effectivement, toute personne vivant hors des clous (dont des personnes « juste » riches, enviées ou détestées) pouvait servir d’accusée idéale à une époque où c’était très politique. Mais ces massacres ont été commandités par l’Église surtout pour effacer les croyances et pratiques liées aux anciens cultes de la mémoire collective ou d’insuffler suffisamment de peur pour décourager les magicien-ne-s restant-e-s de pratiquer. On ne parle pas de folklore. C’est de l’Histoire.
Et on en vient à la partie la plus polémique de cette prise de parole : des magicien-ne-s, il en reste des vivant-e-s, qui sont toujours oppressé-e-s du fait de cette particularité. Même si un-e athée considérera ça plus comme une forme de psychophobie, la « réalité » que vous prêtez à la chose n’a aucune importance, car ça reste tout de même un fait : ces gens se suicident en masse du fait d’être psychiatrisé-e-s, marginalisé-e-s et terrifié-e-s/honteux-ses de ce qu’iles sont.
Des micro-communautés tentent de se former, et les profils se suivent et se ressemblent : des gens qui s’écroulent ou se sont écroulé-e-s du fait de l’isolement très long, qui vivent avec une anxiété généralisée, la dépression, la fatigue abyssale, qui ont pu être interné-e-s suite à une forme de coming-out aux proches ou à un trop plein de pression, qui se sont demandés à quel point leur ressenti profond était réel. Ces gens ne commencent à se reconstruire qu’une fois qu’iels assument qui iles sont et qu’iels trouvent des semblables .
Cela ne vous rappelle rien ? Ne pensez vous pas qu’être allié-e-s , même avec des gens de notre espèce qui rendent les mouvements « pas crédibles politiquement » serait plus profitable que de fondre nos histoires dans les vôtres ?
Personnellement, étant trans, demipansexuel, racisé et neuroatypique, cette peur, cet historique lourd auquel je ne sais pas si j’ai le droit de m’identifier, ces tentatives de psychiatrisation, cet isolement, ces moqueries et ces oppressions, je les ais vécus plusieurs fois simultanément et pourtant jusqu’ici RIEN n’est plus difficile à porter que cette particularité. C’est la première fois que je suis à ce point forcé de me pousser à me croire moi-même, la première fois que je me sens aussi largué , aussi exposé à ce que tout ce qui sort de ma bouche soit immédiatement ridiculisé et que je sens mes semblables aussi largué-e-s que moi.
Bref, s’appuyer sur le fait que ce soit “relié à” ou à des arguments de culture mainstream comme on le fait souvent c’est un peu beaucoup limite quand on sait combien des nôtres croupissent en psychiatrie, ou envisagent la possibilité de mourir, parfois encore enfants. Imaginez aussi celleux qui sont attiré-e-s par des évènements/articles/groupes et ne voient qu’une part de leur identité utilisée à des fins de communication.
Je fais un vrai acte de foi en m’exposant notamment en tant que militant associatif féministe et LGBT+ toujours actif, car c’est ma crédibilité qui est en jeu. Il est fort possible que certain-e-s de mes ami-e-s dans le milieu voient ce papier passer, reconnaissent ma façon d’écrire et se disent que j’ai jeté ma lucidité aux orties du fait des violences diverses – notamment transphobes – considérables que j’ai vécues ces dernières années.
Et pourtant je tiens à partager mon témoignage car cette appropriation doit cesser.
A.

Dessin au feutre sur fond blanc : devant une montagne noire et un ciel nocturne, croissant de lune à l’horizontale au sommet de la montagne, une femme et un bouc devant un feu. Le bouc est bleu, ses cornes rouges et il a un troisième œil sur le front. La femme, blanche aux cheveux bleus, porte un diadème avec une lune et une jupe verte avec des feuilles rouges, elle est poitrine nue, avec de nombreux bijoux et aussi un troisième œil au front. Elle met sa main droite dans le feu.
Illustration par N.O.