Je n’avais jamais été dégoutée par la viande : ni les nerfs, ni le sang, ni le fait que ce soit un adorable petit lapin ne me perturbait. On m’a appris que les grands mangeaient de la viande et que c’était bien, et qu’il ne fallait pas se soucier de l’animal qu’avait été mon repas. Alors docilement j’ai enfermé ce rapport de la viande à l’animal dans un coin de mon esprit et j’ai mangé mon steak.
Jusqu’au moment où mes 18 ans approchaient et il fallait que je devienne « vraiment » une adulte.
C’est à ce moment-là que j’ai rencontré la personne qui a retourné comme un crêpe la perspective que j’avais sur le monde. Boom. Mes yeux s’ouvraient enfin. À présent, ça tombait sous le sens, mais il avait fallu attendre quelqu’un qui représentait la sagesse et la vérité pour que je remette en question cette habitude de manger de la viande. Viande que au passage, j’adore. Mais voilà, il ne s’agissait plus de simplement contenter mon estomac et les normes sociales, il s’agissait de faire ce qui semblait juste. Et tuer et torturer des animaux pour mon bon plaisir était inconcevable.
Je ne pensais pas que ça deviendrait un stigma. Plusieurs fois, dans une école aux valeurs très conservatrices, j’ai été accusée de la ruine des éleveurs français et de la destruction de la gastronomie de ma chère patrie. Au début, ça m’a beaucoup perturbée, maintenant j’ai appris à me défendre. Souvent d’ailleurs, malgré les attaques et les arguments de mauvaise foi, je sens que la personne en face de moi sait que j’ai raison et cherche plus à se convaincre elle-même. Il suffit d’être végétarien et d’être visible pour planter une petite graine dans l’esprit de quelqu’un qui le deviendra à son tour.
Nuage
Illustration par Émilie Pinsan