Complètement perdue.
Quand j’étais petite, je regardais avec une grande curiosité les scènes sexuelles dans les bédés. Je me souviens de bédés Fluide Glacial chez mon oncle. Je crois que ça a commencé assez jeune, cette curiosité pour les images érotiques, voire porno. Et puis, même dans les bédés pas du tout érotiques ni porno, j’étais à l’affût de la moindre case un peu suggestive. Quand j’étais petite, je jouais aux Barbies. Si mes parents avaient connu mes scénarios, ils ne m’auraient sans doute jamais laissé continuer. Des grosses partouzes entre filles, entre mecs, des histoires de polyamour, de tromperies. Je ne crois pas que ça m’excitait particulièrement, mais en tout cas ça m’amusait bien.
En grandissant, j’ai commencé à trouver que ce n’était pas normal. Qu’il y avait un problème avec mon intérêt pour les images et les choses stimulantes sexuellement. Quand j’ai commencé à avoir mes premières amies, et qu’elles me racontaient leurs expériences sexuelles, je ne comprenais pas trop. Je me sentais complètement en décalage. D’un côté, tout ça m’intéressait beaucoup, tant que ça restait dans le domaine de la fiction, et que c’étaient des belles images. Je savais bien ce que ça faisait d’être excitée, mais comme je me trouvais sale, bizarre, voire monstrueuse, il était hors de question que je me touche. J’ai bien eu quelques cours d’éducation sexuelle, au lycée. Peut-être un ou deux. Mais je ne me sentais pas du tout concernée. En fait, j’avais envie d’avoir ma première fois, parce qu’il fallait bien y passer, c’était un stade obligatoire. Tout le monde en parlait. Et puis comme ça se passait pas bien avec les copains que j’avais eus (oui, je me sentais obligée de sortir avec plein de mecs), que j’avais peur qu’ils me touchent, je me disais que si j’avais ma première fois, ça me décoincerait peut-être. J’étais vraiment curieuse de tout ce qui touchait au cul de près ou de loin. Mais même curieuse, je ne me sentais pas concernée.
Je suis donc restée dans le flou pendant longtemps, jusqu’à il y a six ou sept ans. Je n’arrivais pas du tout à comprendre comment ça fonctionnait dans ma tête. D’un côté, je n’avais envie de baiser avec personne. J’avais eu deux rapports sexuels, par simple curiosité, pendant le lycée. Mais ce n’était pas une envie particulière qui avait lancé ça, simplement la curiosité. Je me retrouvais donc à me sentir exclue des discussions sur la question parce que je n’avais rien à dire, pas d’expérience. Et à vrai dire, même une fois ma première pénétration passée, ben, non, toujours rien. Donc, d’un côté, j’avais semble-t-il cette sorte de désintérêt global pour les rapports sexuels. Mais de l’autre côté, les scènes érotiques/pornographiques dans les séries, films, livres, bédés déclenchaient mon excitation. Je me retrouvais donc à parler de cul à des mecs, à leur dire que j’avais envie, parce que je n’avais pas la moindre idée de comment ça marchait, et que surtout je ne pensais même pas à m’occuper de moi toute seule. Et les quelques fois où je me trouvais en condition de baiser avec des mecs, rien à faire : je n’avais pas envie. J’étais plongée dans la confusion, dans une boucle sans fin. Je ne sais pas si je souffrais, mais en tout cas je n’avais pas la moindre idée de ce que j’étais. Par défaut, je me définissais comme bisexuelle, vu que je ressentais la même chose pour tous les genres. D’ailleurs, quand j’en ai parlé à ma mère, elle m’a dit que j’étais malade et qu’il fallait que j’aille en parler au docteur.
Cette attirance pour les images sexuelles, je ne savais pas bien ce que c’était. Je ne comprenais pas trop comment ça marchait. Et surtout, je me sentais vraiment bizarre, honteuse, et je n’assumais absolument pas ce côté de ma personnalité. Si quelqu’un l’avait découvert, ç’aurait été la fin du monde. Imaginez : tout le monde était attiré normalement par les gens, qu’ils soient hommes ou femmes, et moi, bah c’étaient les personnages de mes bédés qui étaient l’objet de mes fantasmes.
Toujours un peu perdue.
Mais un jour, les choses ont commencé à changer. On m’a parlé d’asexualité. Même si au début je ne me sentais pas concernée car la définition que j’avais trouvée ne m’allait pas (être asexuel = ne pas être attiré par les gens & ne pas ressentir de libido), quand même, ça se rapprochait un peu de ce que j’étais. Au début, je me suis dit « non mais attends, tu cherches toujours à pas faire comme les autres, c’est peut-être pas ça, en plus t’as vécu des traumatismes, c’est peut-être en réponse à ça », j’ai essayé par tous les moyens de me convaincre que je n’étais pas asexuelle. Mais bon, j’y ai réfléchi un peu, et j’ai fini par accepter que j’étais peut-être asexuelle. Au début, je me suis dit « non mais attends t’as déjà eu des rapports sexuels avec des gens ». Puis, j’ai réfléchi et fait un peu d’introspection : je n’avais jamais ressenti d’attirance sexuelle pour personne. J’ai donc compris à ce moment-là qu’avoir un rapport sexuel avec quelqu’un ne voulait pas forcément dire qu’on était attiré par lui.
Seulement, quelque chose me chiffonnait. Je ressentais de l’excitation et du désir sexuel, assez régulièrement. Je cherchais moi-même à lire des choses excitantes. J’aimais bien sentir ma libido. Je correspondais à l’asexualité sur le fait de ne désirer sexuellement personne, mais cette libido active m’empêchait de m’y identifier complètement. À ce moment-là donc, et pendant pas mal de temps, j’étais « asexuelle mais ».
Quand j’ai eu ma première vraie relation sérieuse, les rapports sexuels ont mis un peu de temps avant d’arriver. D’une part, à cause des multiples traumatismes que j’avais subis, j’avais peur des hommes, très peur qu’ils me touchent, ne serait-ce qu’un petit contact. Ensuite, je ne ressentais pas franchement le besoin d’avoir de rapport sexuel. Mais cela finit par arriver. Comme c’était loin d’être désagréable, je me suis dit que je ne désirais peut-être finalement sexuellement que la personne dont j’étais amoureuse. Pendant un temps, j’ai donc arrêté de penser que j’étais asexuelle.
Compréhension.
Au fil de mes lectures, j’ai affiné ma compréhension de l’asexualité, et j’ai pu appliquer ma nouvelle compréhension sur moi-même. Je n’avais jamais été attirée sexuellement par cette personne. Le fait que j’ai eu des rapports sexuels avec elle ne changeait rien à cela. Si j’avais eu des rapports sexuels avec cette personne, c’était pour d’autres raisons que l’attirance sexuelle. Du coup, c’était de nouveau à l’ordre du jour : j’étais asexuelle. Cela ne régla pas pour autant le « problème » de ma libido et de mes fantasmes. Ils étaient toujours là. Je n’arrivais absolument pas à les assumer. Après des années de relation avec la personne dont j’ai parlé plus haut, j’ai fini par lui en parler, je ne sais plus dans quel contexte. Cela m’a demandé beaucoup de ressources, car j’avais vraiment terriblement honte. Cela a été la première étape de
ma propre « libération sexuelle ». Comme ma révélation a été bien reçue, que cette personne ne s’est pas moquée de moi, cela a fait déjà bouger des choses. À côté de ça, j’ai aussi commencé à m’intéresser au féminisme et au mouvement sexe-positif. Lire des choses sur le cul aussi décomplexées, aussi bienveillantes et positives a continué à débloquer les choses qui étaient complètement rouillées dans ma tête. J’ai commencé à me dire qu’on avait le droit d’avoir de la libido et des fantasmes, que j’avais le droit de me toucher, que je n’avais pas à me sentir honteuse. J’ai commencé à parler de ça avec des amis compréhensifs. Toutes ces pensées ont fait leur chemin, et l’an dernier, j’ai décidé d’écrire un gros pavé sur mes hontes sexuelles. J’ai voulu tout sortir, parce que je sentais qu’il y avait encore trop de choses coincées. J’ai fait lire ce gros pavé à des gens bienveillants, qui ont réagi positivement, ce qui m’a aussi permis de continuer cette démarche d’auto-acceptation. J’ai découvert des youtubeurs sexe-positifs comme Pouhiou ou Laci Green. J’ai rejoint un groupe de discussion bienveillant sur l’asexualité sur Facebook, qui m’a aussi apporté beaucoup de réponses.
Tout cela allait donc dans le bon sens, mais il me manquait une nuance, que j’ai découverte dans l’autochorissexualité, terme trouvé récemment par Anthony Bogaert. En gros, c’est une sexualité « sans identité » : on peut aimer l’idée du sexe, apprécier lire/écrire/regarder du contenu sexuel, mais on ne ressent pas d’attirance sexuelle, et on ne veut baiser avec personne, même si on peut aimer se masturber. Et puis, quand on fantasme, on imagine d’autres gens que soi-même, et on peut voir ça à la troisième personne, un peu comme si on regardait la télé. On n’est pas inclus dans le fantasme. En plus, souvent, il ne s’agit pas de personnes que l’on connaît nous-même, mais de personnages de fiction ou de célébrités. Dans mon cas, c’est plutôt les personnages dessinés qui m’excitent. La plupart du temps, les personnages de fiction incarnés par des personnes réelles ne me font pas grand-chose. Si je me retrouve excitée par un film ou une série, ce ne sera pas à cause des acteurs, mais à cause des situations, des scénarios, etc.
J’aurais aimé connaître l’asexualité plus tôt. J’aurais aimé qu’on nous présente d’autres modèles possibles que l’hétéronormativité. J’aurais aimé qu’on me dise que les filles aussi avaient de la libido, et que c’était normal. J’aurais aimé lire des choses féministes plus tôt, pour ne pas me sentir obligée d’avoir ma première fois. J’aurais aimé avoir quelqu’un à qui parler de tout ça en détail, quelqu’un qui m’aurait rassurée et qui m’aurait dit que rien de tout ce que je ressentais/vivais n’était honteux. J’aurais aimé pouvoir assumer mon autochorissexualité plus tôt. Je suppose que c’est ça, faire partie d’une minorité extrême.
La Grande Énervée
angrrygirl.blogspot.com
Mon Dieu que ce texte fait du bien… je me retrouve dans ces maux/mots. On ne parle pas suffisamment de ces sujets, il y a trop de tabou et on souffre “inutilement”…
Pour ma part, je suis encore dans la recherche du “moi”. Je ne me comprend pas, et je ne suis pas aidée. C’est dur…
Mais ce texte me réveille et ma honte s’estompe un peu…
Merci