C’est le soir et tout tourne. Il est 21h30, je me suis levée à 15h. Je me suis réveillée à 13h. J’ai dormi environ 11h cette nuit. Et c’est le soir et tout tourne. J’ai rien foutu aujourd’hui. Juste me lever, manger, me laver, trier quelques photos, passer un appel à mon père… Et c’est le soir et tout tourne. J’ai envie de me rouler dans une couette maxi douce et d’y dormir pour les dix prochaines années. Ou d’aller voir les médecins du futur pour leur demander une piqûre d’énergie pure, qui répare les corps cassés même si on sait pas pourquoi ils le sont.
Me demandez pas d’expliquer. J’aurais pleins de mots et en même temps je ne sais pas vraiment. J’ai arrêté de me poser la question parce que la question fait trop mal. Je regarde aujourd’hui. Si ça va, j’irais peut-être aider à faire les courses ou marcher un peu. Si ça va pas, je vais rester allongée à lire et faire comme si je ne rongeais pas mon frein. Comme si ça ne me faisait pas chier, du haut de mes 22 ans, d’être là, les quatre fers en l’air sur le canapé. A la télé, la pub hurle du toujours mieux, plus loin, plus fort. Dépassez-vous, allez, soyez plus que vous-même ! Ouais… J’voudrais déjà être la moitié de ce que j’étais, ce s’rait pas mal.
En plus de la fatigue, il y a mon cerveau qui s’éclate. On appelle ça « un trouble anxieux ». C’est un truc qui fait un peu chier les gens autour de soi, parce que ça ne se soigne pas avec un médicament, parce qu’il n’y a pas de date de fin, parce que c’est sacrément incompréhensible. Les jours où il y a trop de fatigue, il allume les guirlandes électriques neuronales et là, j’avance dans le flou artistique. Il décide également des choses qui font peur ou non, sans grand souci de logique et certainement pas de mon avis. Interdiction d’aller se balader seule dehors sans la panoplie nausée, frissons, tête qui tourne et cœur qui déraille. Par contre pas de problème pour gérer les autres le jour où le beau-père se casse la clavicule en pleine réunion familiale, que y a de la douleur, des pompiers, des larmes. Je vous le dis, la logique est morte, enterrée sous les boites d’anxiolytiques.
Tout va et vient. En spirale montante, le soleil devient de plus en plus tendre, on se sent pousser des ailes et capable d’aller croquer les nuages. Pas tout de suite, mais un jour prochain. En descente aux enfers c’est le gouffre sans fond que l’on connait par cœur mais qui n’a pourtant toujours pas de lampions pour être éclairés. J’ai trempé ma taie d’oreiller de larmes et déchiré ma couette de rage et de douleur. J’ai vomi mes peurs. Au pire du pire je me suis anesthésiée pour survivre. Quand on se sent crever, on zappe qu’on aime pas les pilules. On supplie juste pour un peu de soulagement. Cesser de se réveiller trempée, glacée au sang, les muscles crispés à se croire en train de brûler sous les veines.
J’aime pas beaucoup qu’on me dise « je ne sais pas comment tu fais ». Comme si j’avais le choix. J’ai jamais considéré comme optionnel le fait de me tirer une balle dans le crâne. A partir de ce moment là, tu fais, point barre. J’aime pas non plus qu’on me demande si je pense que « j’en fais assez » ou si je suis certaine de « prendre les bonnes décisions ». Non je ne sais pas. Non il n’y a pas de bonne réponse assurée. Mais je doute déjà assez toute seule. Je m’en veux déjà assez toute seule. Il y a toujours l’impression de ne pas être malade comme il faut. Pas assez ou trop peu. Et si c’était ma faute ? Et si c’était ma faute ?
Je me soigne à la relaxation, au souffle dans le ventre, aux séries niaises et aux ronronnements de petite panthère à pelage flambé. J’ai des discussions serrées avec ma caboche. Subtilement, il faut la forcer tout en prenant bien soin de la rassurer. « Allez, tu vas voir, c’est pas dangereux, promis ». C’est comme de convaincre un gosse de 5 ans qui a décidé que non, c’était effrayant. Point. Mais en moins simple puisque le môme est en toi et a tout un tas d’armes de destructions massives pour appuyer son avis.
Parfois je ris et je chante à pleine gorge dans ma salle de bain. J’enfile ma robe préférée et ça me rend heureuse. Je m’étale au soleil dans le jardin, avec un livre et une bouteille d’eau glacée et ça sent comme de bonnes grosses vacances. Je me couche et les étoiles me caressent, elles murmurent des berceuses rassurantes.
Parfois je n’arrive pas à faire comme si tout le reste ne me manquait pas. Monter des projets culturels qui envoient lourdement. Filer faire le tour de l’Europe pour voir les copains. Se déhancher pendant les festivals d’été. Boire un thé à Shakespeare and Co puis aller faire mon shopping à Aroma Zone. Etre terriblement bobo parisienne et assumer, parce que bordel les quais de Loire en été c’est du bonheur en barre. « Et donc, tu as des projets en ce moment ? ». Ah.. Ahaha… Non. Peut-être. J’aimerais bien. J’avais prévu d’aller étudier à Edimbourg mais ça n’a plus rien de certain. Je prévois de parvenir à remonter dans un train, dis-moi ça compte ou pas ?
Facebook, Twitter et autre Instagram viennent me raconter la vie des autres. Avec plein de paillettes bien sûr, toujours, pour mieux remuer le couteau. Tu les détestes et tu les envies. Tu voudrais leur crier leur chance. Un neurone s’ébroue, murmure : « d’ailleurs, c’était quand la dernière fois que tu as eu quelqu’un dans ton lit ? ». Merde, ta gueule toi. Le manque de contact humain, ça ravage sérieusement.
Il faut penser moins. Il faut penser autrement. Il faut tenter d’aimer la vie qu’on a. Il faut se battre pour autre chose sans se morfondre. La marge de manœuvre est trop étroite pour qu’on se prenne pas le mur. Du coup je me balade avec une boite de sparadraps intérieurs. Je me rabiboche sans cesse parce que ça n’arrête pas de se craqueler. Parce que c’est mal équilibré, mal foutu. Je ne compte plus le nombre de fois où il a fallu repartir du début, par les fondations. A chaque fois j’essaye une nouvelle forme, pour voir si elle tiendra mieux. « Est-ce que cette fois c’est la bonne ? ».
Il est 22h. Aucune idée de demain. A bord de moi-même, je suis toujours pas mal décidée à continuer d’essayer. Ce serait quand même trop con de rater le Japon, les brocantes avec milles merveilles et la dernière saison de Game of Thrones. Il paraît que je peux guérir. C’est mon plus grand trésor, ce « peut être » serré dans ma poitrine comme un petit soleil qui me permet de garder un semblant de gravité intérieure. Un cap à tenir sous la houle.
Je claque fermement la voix de moustique qui souffle que « peut-être que ce sera comme ça pour toujours ». Je suis surdouée à vie. Peut-être fatiguée à vie, même si pour l’instant l’avenir se profile pas si relou. Mais anxieuse pour mon éternité, ça non.
J’organiserais des manifestations de la tête contre mon système nerveux sympathique s’il le faut. J’inventerai des relaxations surpuissantes qui détruisent les angoisses. Je me niquerai les ongles pour remonter encore une fois du gouffre. Je me ferai chanteuse professionnelle de salle de bain pour combattre les mauvaises pensées.
Peu importe si c’est demain, dans six mois ou dans six ans. J’apprendrai à coudre des doudous apaisants pour cerveau craintif et ensemble on ira dessiner des arcs-en-ciel sur le chemin de ma vie.
Perrine M.
instagram : @lahobbitmasquee

Dessin au fusain sur feuille blanche d’un corps de femme bras tendus sur les côtés, il manque la main au bras de droite. Ses pieds ont disparus dans le fond gris, tout son corps est brisé à partir du plexus d’où partent aussi de grands liens noirs dans tous les sens. Elle a les cheveux bruns emmêlés devant le visage.
Perrine M.
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