Dans les années 80, au siècle dernier donc, je me suis rendu compte que j’étais différente. Pourquoi ? Parce que les hommes ne me regardaient pas de la même façon, ils me regardaient avec désir ; une expression qui revenait souvent : « Amel, tu as du chien ».
À 6 ans, j’ai subi ma première agression sexuelle, à 18 mon premier viol et 21 mon deuxième. Mais j’ai su me protéger, j’ai su me défendre.
À 26 ans j’étais propriétaire de mon appartement, j’étais fière car j’avais réussi à vivre, créer ma vie. Le directeur de l’agence immobilière me dit un jour : « tiens, si tu me faisais visiter ton appart’ ». Bêtement, tellement fière de moi, tellement fière de mon accomplissement que oui, j’étais prête à lui montrer tout ce que j’avais fait et là, il a reproduit exactement les mêmes gestes que mon premier agresseur, cette nuit quand j’avais 6 ans. C’est comme si tout ce que j’avais oublié, tout ce que j’avais occulté, tout ce que j’avais mis de côté… remontait à la surface. Tout ce que j’avais accepté pour pouvoir avoir ce que j’avais dans ma vie a explosé.
Grâce à mes cours de boxe thaï, je l’ai éjecté de mon appartement, mais là, mon cerveau n’a fait qu’un tour, je n’ai pas compris. Je suis allée voir mon psy, un psy qui ne me servait à rien, en fait. Parce qu’il me donnait des médicaments. Il faut savoir que dans les années 80, les traitements étaient encore dans la tendance expérimentale, on n’avait pas le recul sur les données humaines des médicaments proposés. Nombre de personnes se sont retrouvées avec du Lexomil. Dont moi (niveau effet, c’est un joint remboursé par la sécu). Xantia, Dérobât et ainsi de suite. Une psy m’a aussi mise sous Rohypnol, communément appelé aujourd’hui la drogue du violeur. Je vous laisse imaginer la soirée que j’ai passée. Alcool, shit… ça s’est fini en hôpital psychiatrique, ambiance service-fermé-camisole-chimique et le médecin qui me m’explique que je suis bipolaire, que les médicaments agissent sur mon cerveau avec l’alcool et les champis que j’ai pris plus jeune. Je n’ai pas voulu y croire. Je n’ai pas voulu prendre le traitement.
Un jour je me suis réveillée et j’ai entendu des voix. Dieu me parlait et me commandait de faire des choses, je voyais la vie de mes parents, la mienne, je voyais même mon futur. J’ai été hospitalisée en hôpital psychiatrique et là j’ai su que plus jamais je ne repasserai par là et qu’il fallait simplement que je prenne mes médicaments et que j’aie une bonne observance de cette médicamentation.
Aujourd’hui, je dois vivre avec une bipolarité qui veut dire que j’ai des excès de nuit. Je n’ai pas droit d’être mère, par contre j’ai très envie sexe tout le temps, et j’en consomme régulièrement. Je fais des achats compulsifs, je fume encore et c’est accepté par la police et mon médecin. Je sais que je dois avoir une vie équilibrée, faire du sport, avoir une vie sociale, être bien entourée pour que je puisse être heureuse et ne pas faire de mal à ma famille. Parce que le plus dur dans cette maladie, c’est toujours pour la famille.
Chaque jour est un combat. Le combat, pour moi c’est de lutter contre mes angoisses, ma parano et l’imaginaire.
Amel C.

Photographie en noir et blanc : sur le fond noir de la photographie se détachent les membres blancs d’une silhouette en mouvement.
« Corps morcelés »
Illustration par V. Brugère