J’ai 16 ans, et je suis en première.
Jusqu’à l’année dernière, nous partions chaque année en famille du côté de mon père dans la maison de mon arrière grand-mère, que ma grand-mère entretenait encore malgré sa mort. Je vous dresse le tableau rapidement : Jura, pêche, chasse aux champignons, cueillette de myrtilles, vélo, baignades, cabanes dans les bois, animaux sauvages ; tout cela isolés dans un petit village. Bref, le paradis pour un enfant, l’ennui total pour un-e adolescent-e.
Chaque année, avant de remonter en Région Parisienne, nous organisions un grand repas du soir, où nous invitions toute la famille qu’on ne pouvait pas souvent voir. Tonton Daniel, tata Josiane, l’oncle Roger, bref vous voyez le tableau.
C’est arrivé lors d’une de ces petites fêtes. Ce soir-là, comme à leur habitude, les adultes discutaient pendant des heures à table. Nous sommes donc partis, mes frères et moi. Je suis allée m’allonger sur mon lit, et j’ai commencé à dessiner.
Quelques minutes plus tard, j’entends des pas hésitant dans l’escalier. Je passe la tête dans l’entrebâillement de la porte, pour voir qui arrive. Tiens, c’est tonton Hubert ! Je ne savais pas qu’il arrivait encore à monter des escaliers. Sans doute qu’il va voir la chambre de Mémé, ça doit lui rappeler des souvenirs. Mais non, mon grand-oncle Hubert ne va pas voir la chambre de mon arrière grand-mère. Il continue de monter sans s’y arrêter, et dépasse le premier palier. Je ne sais pourquoi, mais il y a quelque chose d’étrange, un truc qui ne va pas. Je baisse les yeux sur mon carnet à dessin et essaie de m’y intéresser. Hubert arrive devant ma porte, il la pousse et entre.
– “Coucou Tonton, ça va ?”
– “Oui. Qu’est-ce que tu fais ?” Il est vieux, tout frêle. Sa voix est grave et chevrotante. Mais pas hésitante.
– “Je dessine.” dis-je, et je lui montre mon carnet.
À ce moment, Tonton s’assoit sur le bord du lit. Je me décale pour lui laisser de la place. Il se décale. Je me sens de plus en mal. Je gribouille avec mon crayon, il faut que j’aie l’air occupée. Je porte une petite robe bustier. J’ai 14 ans et les seins qui commencent à percer. Hubert est assis à ma gauche. C’est alors qu’il glisse son bras droit derrière mon dos, et le place sur ma fesse gauche. Mais qu’est-ce qu’il fait ? Il passe sa main sous ma robe, la pose contre ma peau, sur mes fesses, et commence à me caresser. Mes tempes bourdonnent, je ne comprends rien, je m’entends répéter “Arrêtez, vous me faites peur ! Arrêtez !”. Mais il n’entend pas, il ne m’écoute pas, il n’arrêtera pas. Je retire sa main et je sens qu’il résiste, heureusement j’ai plus de force que lui. Je recule au pied du lit. Il est entre moi et la sortie. Je glisse sur le sol pour m’enfuir. À ce moment, je suis assise sur le bord du lit, les pieds par terre. Hubert s’avance et commence à me caresser doucement la cuisse, dans un mouvement de va-et-vient, remontant de plus en plus haut…
– “Tu vois, ça ne fait pas mal…” murmure-t-il.
Quoi ? Mais il est complètement fou !
Je me lève. Il se lève. “Sortez… Sortez… Sortez…”, je répète cette phrase en boucle sans m’arrêter. Est-ce que je rêve ? C’est un cauchemar. Tout est flou. Je veux sortir. Mais Hubert lâche : “Attends, j’ai quelque chose pour toi.”. Hein ? Il faut que je sorte, mais je n’ose pas me rapprocher de lui. “Sortez, sortez, sortez”. “Mais non, j’ai quelque chose pour toi, j’ai quelque chose pour toi… Attends, j’ai quelque chose pour toi.”. Et tout en répétant ces mots, le vieil homme glisse sa main dans sa poche. J’entends un bruit de plastique qu’on froisse. “Sortez, sortez, sortez !”. Et Hubert sort. Il abandonne ?
J’ai gagné… Je fonds en larmes. Je recule au fond de ma chambre et pose mon front contre la vitre. Comment c’est possible..? Hubert, quoi ! J’ai dû rêver… Non tu n’as pas rêvé, tu es en pleurs devant ta fenêtre et encore tremblante, alors tu n’as pas rêvé, non. C’est arrivé, il l’a fait. Ça s’est vraiment passé. Je sèche mes larmes. Je ne peux pas rester seule, je vais voir mon frère dans la chambre de derrière. Je vais attendre que tous les invités soient partis, et je vais le dire. La soirée continue, j’évite Hubert et j’affiche un beau sourire. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus que nous dans la maison. Je voudrais tout raconter à mon père, mais je n’arrive pas à me lancer. Alors je prends un visage tourmenté, et j’attends qu’il s’aperçoive que je vais mal. Ça ne tarde pas.
– “Ça ne va pas ma puce ?”
– “Si, si…” Et j’éclate en sanglots.
– “Oula, qu’est-ce qui se passe ? Viens, on va s’installer dans ma chambre, et tu vas tout me raconter.”
Et je lui ai tout raconté. Au fur et à mesure que je parlais, son visage devenait de plus en plus dur. Finalement, il a lâché : “Demain matin, je vais voir Hubert. Et plus jamais il ne remettra les pieds dans cette maison. Il ne fait plus partie de la famille.” Il m’a prise dans ses bras. Je me sentais coupable pour Hubert… Ce n’était pas si grave, il ne m’avait pas violée…
Ce soir là, dans ma chambre, j’ai entendu mon père pleurer pour la deuxième fois de ma vie. Ma belle-mère faisait de son mieux pour le rassurer. Il allait plus mal que moi.
Vous m’auriez demandé la veille qui était Hubert, je vous aurais répondu : “C’est le vieux monsieur qui habite seul dans la maison d’en bas. Il nous donne toujours des tablettes de chocolat à mes frères et moi, et qui nous laisse nourrir ses lapins. Il est vieux et tout fragile, mais vraiment gentil.”
Aujourd’hui, j’ai peur des vieux messieurs.
Hubert est pour moi le prénom hideux par excellence. Berk.
Il est encore trop tôt pour que je sache si cette expérience a laissé un traumatisme quelque part en moi, mais je ne pense pas. J’arrive à en parler.
Mais ça restera toujours dans les yeux d’Hubert que j’ai lu du désir pour la première fois de ma vie. Et ça, jamais je ne lui pardonnerai.
Amelyne

Illustration par Alicia
https://www.facebook.com/aliciabignoeil
heureusement que tu as pu te défendre,heureusement que ton père t’as crue….. mais quelle horrible première expérience pour une jeune fille 🙁 j’espère que ça ne laissera pas trop de traces chez toi!